"J'ai trouvé que cette histoire relatant l'évolution de la vie sur Terre, à partir d'éléments qui auraient dérivés de la planète Mars, en guise de graine originelle, était passionnante. Cela m'offrait l'opportunité de faire un film d'aventures spatiales bien plus réaliste que ce que l'on voit depuis quelque temps. L'un des films de mon enfance dont je me souviens, avait pour titre "Destination Lune" (film américain de science-fiction (1950) de Irving Pichel interprété par John Archer, Warner Anderson et Erin O'Brien-Moore) et il était très précis par rapport au thème du voyage dans l'espace. "2001" me semblait lui aussi très rationnel, très réaliste sur ce sujet, puisque sa rigueur allait jusqu'à respecter les lois de la physique. C'est dans un esprit similaire que je souhaitais aborder ce projet, mais également illustrer l'une des nombreuses théories liées à la planète Mars, à son histoire et à sa relation avec notre propre planète." (*1)
Dans la suite de l'entretien, le cinéaste Brian De Palma évoque ses choix artistiques concernant la fin du film et la "fameuse" rencontre, tant, à tort, décriée, moquée, huée (*2) : "Pour moi, c'était une question de foi. Si vous abordez un tel film sans y croire, vous ne pourrez pas éviter ce que vous venez d'évoquer. (le journaliste faisait référence aux propos de spectateurs et critiques qui parlaient de "sensiblerie" voire de "caricature" lors de l'arrivée du Martien) Il fallait privilégier l'idéal de pureté qui accompagne ces types lorsqu'ils partent dans l'espace. Je pense que c'est peut-être le seul challenge demeuré intègre pour l'humanité. Ces hommes sont héroïques, surentraînés, dédiés à leur cause. Ils accomplissent un acte dont ils ne pouvaient que rêver auparavant. Lorsqu'ils arrivent sur ces lieux où nous ne mettrons jamais les pieds, et découvrent des choses que nous ne verrons jamais, il en résulte pour eux une vision quasi-mystique. J'en ai discuté avec de nombreux astronautes qui ont pu me le confirmer. Si vous abordez tout cela comme certains critiques l'ont fait aux USA (malheureusement les critiques françaises, à l'exception notamment des revues Les Cahiers du cinéma, Positif et L'Ecran fantastique, ont également raillé cette fin pourtant admirable) vous en aurez une perception ridicule car cela ne fonctionnera pas pour vous. Je n'ai pas voulu faire de sensiblerie mais simplement mettre en évidence la façon d'être profondément authentique de ces gens. C'est une science pure."
Il n'est jamais très facile d'évoquer Mission to Mars sans penser aux critiques qui se sont déchaînées contre ce film. Brian De Palma fut accusé d'avoir pillé le film de Stanley Kubrick et d'avoir mis en scène une fin d'une mièvrerie sans précédent. D'autant que le film est considéré comme une commande pour son auteur sur lequel, il est exact, il est arrivé tardivement après le désistement du réalisateur Gore Verbinski. Autant écrire que même certains des plus ardents défenseurs du cinéaste n'ont que très moyennement apprécié cet opéra spatial. Présenté au Festival de Cannes hors-compétition, le film avait également déclenché de nombreux sarcasmes dans le public notamment lors de l'apparition de la Martienne. Quant aux critiques américaines et françaises, hormis les trois revues (et peut-être d'autres) citées précédemment, toutes ont fait de Mission to Mars le nanar de l'année couronné d'une citation aux Razzies Awards. Le public, par ailleurs, refroidi par l'accueil catastrophique du film, ne se précipita nullement dans les salles.
L'engagement de l'étude qui va suivre est de porter un regard objectif sur le film, avec un recul de cinq années, ce qui me semble nécessaire afin d'appréhender et de commenter à nouveau une œuvre tant décriée. Je n'ai nulle intention de convaincre les réfractaires, encore moins de proposer une succession de louanges dithyrambiques au film, ce qui nuirait considérablement à mon travail de commentaire et d'analyse. Mon objectif est de proposer une étude analytique se concentrant sur tous les thèmes abordés par le film et de le replacer au sein de l'œuvre de Brian De Palma. Car sous ses aspects purement commerciaux, se cache derrière Mission to Mars un authentique trésor d'une belle richesse cinématographique et thématique, qui ne s'entretient rien d'autre qu'avec des thèmes humanistes et universalistes, mais aussi et surtout, avec la plupart des obsessions de son auteur: les rêves de l'enfance et le réalisme du temps, la perte de l'être aimé, la loyauté et le dévouement, la métaphore cinématographique, l'imaginaire et les images de l'esprit. Car le film ne parle de rien d'autre que de deux thèmes universels: la concrétisation des rêves de l'enfance et la foi en l'amour.
Des rêves de l'enfance
N'y a-t-il rien de plus beau et de plus émouvant que de voir un enfant, un soir de Noël, ouvrir l'un de ses cadeaux et de contempler, brillant dans ses yeux, une émotion nouvelle qui lui donnera l'envie d'appréhender l'univers comme un tout. L'une des images, l'un des souvenirs qui hante l'esprit de Jim McConnell alors qu'il s'apprête à retrouver sa femme à l'autre bout de l'univers, est celle-ci. L'enfance, son premier jouet, une fusée spatiale, son premier songe de découverte, sa foi en son envie de devenir un astronaute et de parcourir le ciel, l'espace, les étoiles et de vivre, avec des émotions simples, le rêve de tout homme. Car, lorsque Brian De Palma, lors de la scène dans le planétarium, effectue un très long travelling arrière, il part des yeux remplis d'émotion des personnages pour s'achever sur les milliards d'étoiles qui parsèment l'espace.
Car tout le film se fonde sur cet esprit de découverte, sur les rêves de l'enfance. C'est une aventure humaine que nous décrit Mission to Mars, tout simplement, qui puise son origine dans l'imaginaire de l'enfance. A l'image de la petite fusée en plastique envoyée dans le ciel, le soir de la fête de départ du premier équipage pour Mars. Une illusion qui s'entretient avec des envies épanouies de parcourir un autre monde, une autre forme de vie humaine ou végétale, ce désir de pouvoir transcender les lois de l'imaginaire. Une illusion, une petite fusée qui en explosant laisse jaillir un feu d'artifices de couleurs, qui traduit ce que le cinéma de Brian De Palma a de plus allégorique. Mais dans le cas présent, cette ouverture spectacle, magique au sens le plus pur du terme, ne cache pas une histoire cynique. Elle explicite la beauté d'un instant où les rêves les plus enfouis des hommes vont enfin se concrétiser d'ici quelques heures. Car le cinéaste aime faire commencer ses films par des images illusoires, trompeuses ou des rêves et cauchemars (le jeu télévisé de Sisters, le rêve sexuel de Pulsions, la série Z de Blow Out, un autre tournage de série Z dans Body Double, un écran vidéo dans L'Esprit de Cain). Le cinéma de Brian De Palma s'entretient avec les rêves et les cauchemars, les illusions et les images, mais aussi et surtout avec l'interpénétration de ceux-ci dans une réalité bien concrète, parfaitement établie.
L'ouverture de Mission to Mars, une fête d'astronautes autour d'un barbecue, traduit toute l'idée autour de laquelle s'articule le film: la simplicité et la foi en une croyance. Le cinéaste a refusé de montrer l'entraînement des astronautes car il ne souhaitait pas faire une apologie. Il désirait simplement nous conter une histoire d'hommes qui vont être confrontés à leurs rêves, mais aussi au danger. C'est une aventure grandiose et humaine. Aussi, en un long plan séquence, le cinéaste nous dessine le portrait de plusieurs femmes et hommes qui discutent de leur vie quotidienne, de leurs aspirations et attentes, tout en conservant à l'esprit leur mission prochaine. La petite fusée qui symbolise l'enfance a explosé en plein ciel. A présent, ils sont tous confrontés à leur propres choix mais avec une excitation jouissive de partir, enfin.
Jim McConnell arrive en retard à cette soirée en l'honneur des partants de la première mission, car sa femme est décédée peu avant le départ. Cette dernière aussi s'était entraînée afin de s'envoler vers Mars. Jim arrive à la soirée et évoque sa souffrance, son rêve brisé de pouvoir conquérir Mars avec sa femme. La perte de l'être aimé est un autre thème récurrent de l'œuvre de Brian De Palma. Deux fois le film abordera cette obsession tragique du cinéaste, avec le suicide de Woody Blake afin de sauver ses amis alors que la sonde est en perdition. Deuxième déchirement après celui vécu par Jim McConnell. La mort précoce de la femme de Jim a mis des doutes dans sa foi. Il se refuse à partir, en même temps qu'il désire lui rendre hommage en accomplissant la mission. Cet homme blessé ne cessera de se vouer à son amour, et de retrouver par son deuil et tout au long du voyage, sa croyance en son idéal. Car il garde secret au plus profond de son âme, un espoir, celui de pouvoir la rejoindre à l'autre bout de l'univers. Tout son investissement, tout son courage, tous ses désirs de poursuivre cette épopée, se nourrissent de cette impénétrable foi en l'amour. L'innocence d'un enfant qui croit en ses rêves se concrétise à présent en une croyance qui permet à Jim de surmonter toutes les épreuves afin de s'unir pour toujours avec la femme aimée.
Le film se fonde sur l'imaginaire de l'enfance, car il ne cesse d'évoquer et d'invoquer l'accomplissement du rêve et de la foi à travers un regard qui se voue autant à l'inaccessible qu'à l'inimaginable. Ce qui peut apparaître comme terriblement naïf révèle en fait toute la sincérité de son auteur qui croît en la capacité de l'homme à transcender l'imperceptible en une connaissance, par la conscience, de l'imaginaire, en dépassant toutes les lois de la raison pour tendre vers la fable. Alors que le réalisme quasi documentaire du film s'entretient avant tout avec le rationalisme du monde des adultes, toute la dernière partie qui se déroule sur Mars, au sein de ce planétarium, est dédiée à la fable utopiste qui se fonde sur les croyances de l'enfance. Ce qu'il y a de sensible dans ce film, ce n'est nullement la caricature qu'ont pu évoquer la plupart des critiques. Bien au contraire, c'est l'existence de ses propres croyances. Tous ces astronautes, comme l'évoque le cinéaste, croient en leur mission car ils ont la foi de découvrir une beauté qui n'appartient pas aux lois de notre monde. Ils ont la conviction de pouvoir partir à la rencontre d'une nature différente, avec laquelle ils pourront nouer un contact. Le cinéaste opère une transition cinématographique qui rompt avec l'aspect réaliste de la mission dans le vaisseau, mais qui, au final, ne fait que créer ce que tous avaient pu imaginer. D'autant qu'il y a une identification avec la Martienne qui apparaît comme la mère de tous les hommes et propose de s'unir dans la foi de l'humanisme universaliste.
Entre la trace dessinée par le pied de Jim, au début du film, sur la terre et la rencontre avec la Martienne, il n'y a finalement qu'une seule et même croyance: laisser une marque de son passage afin de perpétuer, après avoir appris et créé, s'enchaînant sur une ellipse saisissante avec la vue du sol martien. Concrétisation d'un fantasme, d'une espérance.
De l'union et de la filiation
Mission to Mars se fonde sur un autre thème récurrent du cinéma de Brian De Palma: l'union et le transfert. Dans Pulsions, lorsque Kate Miller est assassinée dans l'ascenseur par "Bobby", la porte s'ouvre à un étage. La jeune prostituée interprétée par Nancy Allen découvre le corps gisant qui lui tend la main, afin qu'elle puisse l'attraper et la sauver. Cependant, le plus frappant dans cet instant est le regard des deux femmes qui se contemplent. Le cinéaste insiste sur les yeux de chacune d'entre-elles et nous comprenons à ce moment qu'il y a un transfert. La jeune femme est chargée par la victime de découvrir son meurtrier. Même constat dans Furie où Amy Irving est chargée de venger le fils de Kirk Douglas ou bien encore entre Jim Malone et Elliott Ness dans Les Incorruptibles. Dans l'œuvre de Brian De Palma, le transfert des volontés passe par l'union et la filiation. Dans Mission to Mars, plusieurs scènes reprennent ce schéma narratif. Si dans les films cités ci-dessus, le transfert se fait toujours des plus anciens vers les plus jeunes, celui-ci est différent dans Mission to Mars dans la mesure où il offre une autre dimension, ne se fondant nullement sur la parenté (filiation parent-enfant) mais sur l'union amoureuse, s'inscrivant dans la logique thématique du film.
• L'évocation du souvenir de la femme de Jim. Elle a chargé son mari, avant de mourir, de poursuivre son rêve par sa présence, sa mémoire. L'union n'est pas scindée et demeure à travers les pensées et la croyance.
• La première mission est décimée par le vortex (phénomène électromagnétique) et le transfert se fait par l'intermédiaire des informations fournies par les ordinateurs.
• Il y a une composition de l'union par la danse en apesanteur. Les corps en mouvement perpétuel se touchent, se croisent, évoluent dans un instant qui n'est pas soumis aux lois. Il y a une forme de libération des esprits et des corps dans un contexte réaliste et métaphorique. D'autant que c'est Terri et Woody qui s'adonnent à cette danse qui symbolise toute la beauté de ce couple, idéal aux yeux de Jim. Réalisme, car le cinéaste a filmé dans une centrifugeuse (à la différence de Stanley Kubrick qui a filmé en apesanteur) dans une situation qui le demande (la roue gravitationnelle) et métaphorique, car en ce court instant, les personnages substituent les difficultés du voyage à une nouvelle plongée dans leurs rêves. Il y a un oubli de la condition au profit de l'émotion humaine pure.
• Le suicide de Woody lors de son sauvetage avorté. Sa femme lui lance le câble de survie, mais celui-ci est trop court et l'astronaute ne peut le saisir. Il y a rupture dans l'union maritale, mais le cinéaste effectue un parallélisme avec l'état de Jim. Woody se sacrifie pour la vie de sa femme. Il y a un transfert de la foi. Woody et Terri qui offraient dans le vaisseau tout le calme et la plénitude face à l'omniprésence du danger (la pluie de météorites).
Dans le planétarium, la Martienne humanoïde demande à tous les protagonistes – et notamment à Jim - de se donner la main et de faire un cercle autour de la Terre. C'est une union humaniste et universaliste autour d'un absolu, d'un tout.
• La nouvelle union entre Jim et sa femme, alors qu'il est plongé dans ce liquide avant sa montée dans le vaisseau qui l'amènera vers sa femme. Il y a deux plans bouleversants, d'une absolue beauté par leur simplicité et leur nécessité: le levée du voile de mariée de la femme de Jim puis le contre-champ sur le regard de Jim qui comprend qu'il va la rejoindre pour l'éternité.
La perte de l'être aimé
Elle est une obsession majeure dans le cinéma de Brian De Palma. Depuis ses premiers films, Phantom of the Paradise (Winslow Leach ne pourra jamais aimer Phénix car, défiguré, il a dû pactiser avec Swan), Obsession (Courtland doit se résoudre à la mort de sa femme), Blow Out (Jack Terry ne pourra sauver Sally), la perte de l'être aimé hante l'œuvre du cinéaste. Dans Mission to Mars, le cinéaste en propose deux lectures:
• La première est celle de Jim qui a perdu sa femme peu avant le départ de la mission. A l'image de Courtland, il culpabilise mais ne sombre nullement dans l'obsession. L'optique résolument plus optimiste du cinéaste le conduit à transformer ce deuil en une foi. D'autant que Jim a la conviction intime de pouvoir la rejoindre au cours de ce voyage.
• La deuxième est en revanche plus tragique: il s'agit de celle de Terri qui ne pourra pas sauver Woody, lors de la tentative de récupération du Remo dans l'espace. Woody sacrifie deux fois sa vie: pour sauver son équipage en accrochant le câble de survie au Remo puis, alors qu'il dérive dans l'espace, il retire son casque, afin que sa femme ne prenne pas de risques pour le sauver, se sachant condamné.
L'omniprésence de Maggie dans l'esprit de Jim n'est jamais traitée par le cinéaste sur un mode pessimiste, plutôt fondée sur l'espérance. En revanche, le double sacrifice de Woody pour ses amis et sa femme relève du romantisme tragique, qui clôt Blow Out. A la différence que Brian De Palma inverse les rôles: ce n'est plus l'homme qui perd sa femme, mais le contraire. D'autant plus qu'au contraire de Jack dans Blow Out, Woody ne se sert pas de sa femme afin de l'aider à résoudre une énigme. Le cinéaste a volontairement déplacé sa lecture du romantisme tragique afin de faire de ce sacrifice une douleur humaine dénuée de tout cynisme. Brian De Palma évoque la souffrance la plus intime, le deuil, la séparation d'un couple, le don de soi, l'éternité par la glaciation du visage de Woody. De même, le cinéaste privilégie les longs plans sur le regard qui traduisent toute la détresse des cœurs et des âmes en pleurs. De longs moments de cris, de déchirements.
Dans le cas de Jim, ses retrouvailles avec Maggie passent par un long voyage et le défilement des images de la vie. Le cinéaste plonge son personnage dans un liquide afin de donner une dimension biblique, fondée sur le thème de la résurrection par l'amour, à son personnage. En quittant le monde de ses amis, il revoie tout le film de sa vie et celui de sa femme. De l'enfance (l'ouverture des cadeaux avec la fusée, Maggie enfant qui regarde Mars à travers son télescope), à la vie adulte (célébration des anniversaires, les moments forts du couple, avec l'entraînement, la joie de vivre, la concrétisation du rêve) jusqu'au mariage avec la dernière image de cet album souvenir de sa vie: la levée de voile de Maggie. Une nouvelle union entre ces deux personnages, une deuxième chance, un amour retrouvé, désespéré avant le départ vers Mars et célébré au moment de cet envol vers une galaxie plus lointaine.
La métaphore cinématographique
Toute l'œuvre de Brian De Palma s'entretient avec le cinéma, la mise en scène, l'illusion et la métaphore du cinéma par les images et les rêves. Mission to Mars s'entretient avec les rêves. Nous l'avons déjà expliqué. Dans tous ses films, le cinéaste ne cesse d'explorer les multiples possibilités d'appréhender et de comprendre le cinéma par les diverses potentialités de lecture d'une image cinématographique, à travers le fantasme voyeuriste (Carrie, Body Double), les faux commencements par le film dans le film (Blow Out, Body Double), les images de télévision (Hi Mom, Sisters, Snake Eyes), d'un écran vidéo (L'Esprit de Caïn), les cauchemars ou les rêves pervertis (Pulsions), la mise en scène d'une situation de simulation (Mission impossible), la mise en scène théâtrale (Dionysus in 69'). Mission to Mars n'est pas un film qui s'entretient avec le cynisme ni avec aucune forme de manipulation. Puisque les exemples cités précédemment s'entretiennent avec la volonté du cinéaste de démontrer au public que le cinéma et les images cinématographiques sont manipulées, manipulatrices et proposent la multiplicité des points de vue en même temps que leur propre éclatement en fonction des interprétations possibles.
Mission to Mars se refuse à ce constat, à cette théorie. La première "fausse" image du film, une fusée en plastique lancée au-dessus du jardin de la fête de départ démontre certes, que le cinéma est une illusion à travers la représentation de la réalité dans un film (thème récurrent dans l'univers du cinéaste, la confrontation du rêve et de la réalité sous forme de métaphore rêve et réalisme; comment traduire la réalité par des images illusoires et le montage; le cinéaste essaie ainsi de traduire le plus fidèlement possible des moments de réalité par les plans-séquences, qui ne sont pas montés et par lesquels l'image enregistre, sur une durée définie, une certaine forme de réalité puisque là encore la caméra filme une réalité mise en scène). Dans le cas présent, la petite fusée "feu d'artifices" symbolise la pensée du film, liée à l'enfance, aux rêves et aux croyances qui animent l'esprit de ces hommes et femmes. Cette fusée miniature s'entretient avec le cadeau que reçoit Jim dans son enfance.
La métaphore cinématographique du film se situe lors de la toute dernière partie et prend une dimension cinéphilique et absolue, car elle réunit sous la forme d'une quintessence tous les liens qui y sont rattachés: l'image cinématographique comme illusion, le film comme projection mentale issue de ses émotions, de ses sentiments, de ses pensées, de ses rêves, la foi en son idéal, le spectacle et la mise en scène. D'autant que lié à la mythologie martienne, le planétarium apparaît dans un visage.
Jim, Terri et Luke pénètrent dans le visage. Une salle immense, blanche, les entoure. Ils retirent leur casque. Ils peuvent respirer normalement. A ce moment s'ouvre sous leurs yeux une autre porte, large, rectangulaire et apparaît un écran noir, l'infini. La métaphore du commencement d'un film en même temps que la pénétration dans un rêve est évidente. Les trois personnages s'avancent et se rendent compte qu'il s'agit d'un planétarium. Ils cèdent à la réalité pour s'introduire dans un monde cinématographique qui répond à toutes leurs interrogations, à tous les fantasmes, à toutes leurs croyances. Ils sont au cœur de leur propre esprit en même temps que celui de la mythologie martienne. Ils évoluent au sein même d'une utopie qui s'est concrétisée par leur regard, car elle est le remerciement à leurs croyances. La frontière séparatrice entre le rêve et la réalité/le film et le réalisme est abolie. Plongés dans un état de rêve éveillé, à présent, ils vont rencontrer celle qui est présentée comme la Mère de tous les hommes. Afin de renforcer plus encore l'aspect onirique, d'images mentales/cinématographiques, projetées, le cinéaste crée la Martienne sous une forme numérique, afin d'en faire une représentation symbolique. Lorsqu'elle montre aux trois personnages la création de la Terre, Brian De Palma propose à ceux-ci de tendre et de rejoindre l'espèce originelle, quelque part dans l'univers. Ce départ/retour vers celle-ci passe par une immense boule d'énergie électromagnétique qui doit les propulser vers l'hyper-espace. En faisant de sa Martienne un personnage humanoïde, le cinéaste explique en quoi, par la création onirique des planètes de cette séance à la rencontre de la découverte de l'origine de la vie sur Terre, elle et eux ne font qu'un. Enfin, la morphologie de la Martienne se rapproche des ADN mutuels des hommes (symbolisés dans le film par un autre "jouet" lié à l'enfance, à l'innocence, des "M'n'Ms") et explique en quoi elle leur propose ce voyage à travers le temps.
Seul Jim acceptera, car il désire retrouver Maggie. Tout au long de ce film de la vie, il y a une initiation des personnages à la compréhension de l'univers. Le cinéaste expose une théorie parmi d'autres, mais en laquelle il croit fermement comme le confirment les différents entretiens qu'il a accordé aux journalistes et critiques. Cette boule d'énergie qui conduira Jim à bord de son vaisseau vers l'hyper-espace se concentre à partir de l'esprit de l'immense visage mythologique, ce qui ne peut que confirmer l'évolution dans un esprit.
Brian De Palma reprît encore plus explicitement cette métaphore de l'écran de cinéma et de la pénétration dans un film, dans une autre de ses œuvres qui s'entretient également avec l'onirisme, Femme Fatale. Lors de la première scène filmée en plan-séquence (puisque Femme Fatale est construit en une multitude de plans-séquences pour chaque scène; notamment dans le bureau de l'ambassadeur, au commissariat), Laure et Black Tie sont dans la chambre d'hôtel et ce dernier lui explique une ultime fois l'organisation du vol de bijoux. Alors que le monologue du personnage se termine, il relève un immense rideau, très large et laisse apparaître le Palais des Festivals de Cannes et la montée des marches. La caméra s'approche et franchit la baie vitrée: il y a une première pénétration dans le rêve/ rêve cinématographique de Laure.
De la contemplation des corps en mouvement et de l'immensité
"Vous avez eu recours à de tels effets de caméra pour la très longue séquence de générique du début où le regard passe successivement d'un protagoniste à l'autre: cela avait-il pour objet d'impliquer d'emblée le spectateur dans le récit?"
Brian De Palma:
"C'est sans doute le seul moment où je pouvais faire un tel plan, car nous étions sur un site naturel réellement spacieux, et cet espace permettait à chacun des personnages d'évoluer naturellement, et donc de se dévoiler aux yeux du spectateur qui capte ainsi rapidement leur tempérament dans leur façon de se comporter sur Terre durant les ultimes moments qu'ils y passent avant de s'envoler pour Mars." (*3)
Le cinéaste contemple, fasciné, des corps en mouvement, libérés de toutes contraintes et filme le chevauchement, l'évolution de ces hommes et de cette femme, en apesanteur, s'adonnant à la liberté la plus absolue de pouvoir se mouvoir, posséder, transmettre. La caméra de Brian De Palma également en apesanteur et libérée des contraintes techniques, capte cette magie en refusant l'empressement, en rejetant l'immédiat afin d'immortaliser, de poétiser, la fluidité de la gestuelle, la pureté visuelle et l'imagination de l'extension des formes. Le cinéaste s'applique à créer des équivalences visuelles par le flottement de la caméra autour des personnages en apesanteur. Les personnages, notamment lors de la scène de la danse, flottent et volent dans le vaisseau et revendiquent la libération de leur corps par un rejet constant de l'enchaînement. Brian De Palma filme le réalisme de la situation en la transcendant par des représentations visuelles qui tendent vers une forme contemporaine de réalisme poétique. Cette navette spatiale déshumanisée et glaciale prend vie par la recherche visuelle, la fluidité, la pureté des mouvements de caméra. Aussi et surtout, par le bouillonnement de vie de ses personnages. Autant la souplesse des corps que la rapidité des réactions (lors du sauvetage du Remo) sont filmées avec cette constante fascination pour l'évolution des corps dans l'espace. Car le cinéaste y saisit la découverte de l'inconnu par un émerveillement perpétuel devant l'absolue liberté, face à l'immensité de l'univers. Brian De Palma saisit l'émotion la plus pure, la plus authentique, la plus humaine et ses lents mouvements de caméra se doivent de la capturer et de la diffuser, afin de donner vie et substance à Mars, à l'espace, et à faire de ses personnages des êtres humains qui alternent avec humanité et courage, l'héroïsme et l'intimisme.
Le cinéaste sait que c'est par l'intensité du regard que se traduit le mieux la découverte de l'inconnu. Par conséquent, afin de traduire cette vision unique, devant la magie et le mystique, Brian De Palma s'attarde longuement sur tous les regards, celui amoureux de Terri pour Woody et inversement, celui de Jim émerveillé par la foi en sa mission. Brian De Palma déclara dans la revue Cahiers du Cinéma lors de la sortie du film (*4): "Ce que j'ai essayé de restituer dans Mission to Mars, c'est montrer qu'il y a quelque chose de magique dans ce qu'ils ont vu (les astronautes) et faire vivre au public une expérience qu'il n'a jamais eu l'occasion de vivre."
Si le cinéaste sait traduire la contemplation devant l'immensité, il représente également le danger devant une nature qui peut également être hostile à celui qui la découvre et la pénètre. C'est précisément le cas avec la première mission, décimée par un vortex géant. C'est aussi la puissance sans limite aucune de l'espace; Woody ne pourra plus rejoindre ses compagnons car sans carburant pour la propulsion de son scaphandre, il est condamné à errer sans fin. Brian De Palma nous propose une réflexion sur la capacité de l'homme à s'intégrer à un nouvel environnement, sa manière de se comporter avec l'inconnu, les multiples possibilités qui s'offrent à lui, afin d'appréhender le contexte, autant la vie à bord de la navette spatiale, et ce souci permanent du cinéaste pour être réaliste (il a travaillé en étroite collaboration avec la NASA) que face aux longs déserts martiens ou bien rencontrant la mythologie martienne. Les personnages de Mission to Mars cherchent à perpétuer et à préserver la beauté de la planète en la foulant et en la chérissant. Il n'y a nulle envie de bafouer, juste le désir d'admirer et de s'acclimater à un environnement souvent hostile. Car c'est par l'oxygène diffusé par les plantes qu'a pu survivre Luke (le rescapé de la première mission) pendant plusieurs mois sur Mars. Brian De Palma déclara toujours dans Cahiers du Cinéma (*5): "2001 (de Stanley Kubrick) est un grand film très froid, très élégant, abstrait et symbolique avec une mystique très profonde dont le sens est difficile à découvrir. Mission to Mars est plus simple et plus humain. Et puis Kubrick est davantage intéressé par le combat de l'homme contre la machine alors qu'ici c'est vraiment l'homme contre un territoire inconnu (…)."
En utilisant le plan-séquence lors du générique, le cinéaste a su trouver la technique nécessaire à l'expression des astronautes qui discutent entre eux, plaisantent et confient leurs angoisses et leurs rêves. Cette figure de style est la plus appropriée à rendre cet instant car elle s'inscrit dans la continuité, dans le temps long et permet une présentation des personnages qui sait éviter toutes les formes de clichés ou de catalogages. L'union intime entre la mouvance des corps lors de la scène de danse et l'expression visuelle par de très longs plans en apesanteur permet également de traduire la fluidité et le temps qui s'éternise, la joie qui déborde sur les angoisses. De même lors du sauvetage du Remo, où le cinéaste multiplie les travellings circulaires et latéraux en plongée et en contre-plongée, autour, le long et entre les personnages. Le montage se refuse à toute forme d'empressement. Il y a l'idée du calme relatif, de la léthargie contemplative, de la fascination et de l'émerveillement.
De même, lors de la rencontre avec la Martienne, autant la musique que la caméra ne cèdent à la précipitation. Quelques notes, un très lent panoramique qui épouse le regard des astronautes, une première apparition par une ombre projetée sur la planète Mars puis l'apparition par touches suggérées. Brian De Palma poursuit l'entretien (*6): "Je voulais qu'elle ait de grands membres et qu'elle bouge sans qu'on perçoive ses mouvements. Qu'elle ait un mouvement déstructuré et qu'elle ressemble à une gardienne de tour. Je ne voulais surtout pas que l'on masque qu'il s'agit d'une création digitale car cette créature est une projection. (…) C'est une pure créature digitale, une projection qui n'a rien de réaliste. Toute la scène du planétarium est une projection. C'est un grand show tels que les personnages l'imaginent. Rien d'autre. Un spectacle dont ils sont les spectateurs."
L'analogie entre l'illusion de la première image (la petite fusée) et la projection du planétarium est l'aboutissement des rêves de l'enfance. De même que le vaisseau à bord duquel Jim s'est embarqué lors de la dernière image et qui passe juste devant la navette, est la reprise de la première. Entre temps beaucoup d'aventures, de découvertes et d'émotions auront traversé l'esprit de chacun des personnages. L'aventure humaine d'une équipe d'astronautes, pionnière, se traduit par la poétisation d'un univers technologique déshumanisé (la navette) et par le merveilleux de la fable utopiste du planétarium. L'émotion est omniprésente tout au long de ce film, mais les personnages ne sont nullement des émotifs. Ce sont des idéalistes qui travaillent à l'accomplissement de leur mission tout en se nourrissant de leurs rêves. En ce sens, il n'y a aucun sentimentalisme dans Mission to Mars, uniquement l'émotion qui caractérise tout l'équipage. Le personnage de Woody a lu depuis son enfance une quantité d'ouvrages sur Mars et vit dans une mythologie. Jim ne rêve d'aller sur Mars que pour retrouver sa femme. Tous sont hantés par cette projection de fantasmes dont nous parle le cinéaste dans l'entretien accordé aux Cahiers du Cinéma, en même temps qu'ils doivent gérer une quantité inestimable d'informations.
THE END
Mission to Mars n'est pas un film de science-fiction au sens étymologique du terme. Au travers de l'aventure pionnière de ces hommes et de cette femme, Brian De Palma nous parle essentiellement de l'amour et de l'enfance en alliant le réalisme documentaire des deux premières parties du film et la fable humaniste de la dernière partie qui est la représentation des rêves de l'enfance. La contemplation d'un univers par le regard préservé du cynisme de l'équipage qui ne cesse de croire en son idéal, la fascination exercée par l'inconnu, ne cessent de traduire l'union amoureuse qui est le thème central du film. Comment un homme amoureux va-t-il rejoindre à l'autre bout de l'univers sa femme disparue. Celle qui a nourri sa conviction et consolidé son courage afin de se battre pour mener à son terme les préparations de la mission, celle qui a fait de lui un homme qui croit en sa foi, en son idéal. La beauté de regards qui s'échangent, la perpétuation d'une croyance, la métaphore cinématographique la plus absolue, la plus "parfaite" pour traduire le rêve, les aspirations, les désirs. Mission to Mars est un film sur la vie, sur l'absolue nécessité d'aimer pour grandir, créer et perpétuer. Longtemps Brian De Palma nous hantera par ses longs plans contemplatifs sur l'immensité et l'inconnu, mais aussi par sa représentation par le regard de la souffrance, du désir et de l'émerveillement à chaque instant, de la beauté de l'inimaginable. Car représenter l'inimaginable, c'est avoir su comprendre et saisir toute l'absolue nécessité de faire de l'image cinématographique le miroir de nos fantasmes. En ce sens, la splendeur éternelle de Mission to Mars est notre reflet à tous.
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