sábado, 24 de maio de 2008

sábado, 17 de maio de 2008

NOTE SUR JACQUES TOURNEUR

par Jacques LOURCELLES

Le monde des films de Jacques Tourneur est le monde de la ténacité et de la surprise continuelle. Mais la surprise continuelle (surprise d'exister, surprise de ne se sentir fait pour rien en ce monde et de se trouver pourtant y remplir un rôle) revient à l'absence - une absence totale - de surprise. Il ne reste plus que la ténacité.

Cette ténacité elle-même, vertu non exaltante par excellence, n'est pas une qualité morale des personnages, une facette de leur personnalité: quelque chose qui pourrait soudain disparaître d'eux, les abandonner et surtout les laisser tranquilles; non, elle est comme la substance dont ils sont faits. Dans chacun de leurs actes, on les dirait invinciblement inspirés par le conseil qu'adresse à ses éventuels successeurs le héros d'une fiction de Borges: « Je prévois que l'homme se résignera à des entreprises de plus en plus atroces; bientôt, il n'y aura que des guerriers et des bandits; je leur donne ce conseil: celui qui se lance dans une entreprise atroce doit s'imaginer qu'il l'a déjà réalisée, il doit s'imposer un avenir irrévocable comme le passé. »

Qui sont ces « personnages »? Presque rien; des ombres actives; des hommes d'action qui n'ont rien à dire ni à communiquer, qui ne possèdent rien, pas même cette liberté illusoire (l'espoir, le désir, le présent qui, insensiblement, devient le passé) où se complaisent les autres hommes: ils ont, une fois pour toutes, arrêté (id est: décidé et immobilisé) leur destin. J'entrevois deux autres façons d'évoquer l'émotion qu'ils dispensent - qui correspondent aussi à deux hypothèses ayant servi de base à quelques contes fantastiques contemporains: 1° ces personnages combattent, mais comme si le déroulement de ce combat devait avoir lieu dans un monde et ses conséquences dans un autre: elles ne les regardent pas; eux, ils combattent, c'est tout. Ce que nous entreprenons et les conséquences de nos entreprises appartiennent à deux mondes différents, sans contact entre eux; 2° ces personnages combattent, mais en combattant, en agissant, ils nous suggèrent que leur action, leur individualité, et par extension toute action, toute individualité a sa propre dimension temporelle, sa propre temporalité, qui progresse parallèlement à toutes les autres, qui ne se recoupe avec aucune autre.

Est-ce que ce sont pour autant des gens tristes? Je crois que la tristesse, même, leur paraît superflue. Ils auraient plutôt, à l'état latent, une sorte d'humour sinistre qu'ils exercent surtout contre eux-mêmes et qui leur fait voir avec une précision implacable les innombrables étapes, ruses, formalités et obstacles par quoi ils sont obligés d'en passer, qui leur fait voir aussi, avec la même précision, toute cette galerie de monstres de plus ou moins grande envergure qui se trouvent toujours sur leur chemin, créatures simiesques, inquiétantes, répugnantes ou boufonnes avec lesquelles il leur fait bien composer jusqu'à avoir, quelquefois, l'impression accablante de se confondre avec elles. Humour sinistre justement, parce qu'il ne leur fait grâce de rien.

***

Peu d'oeuvres auront à ce point dissimulé le lien qui les relie à leur auteur. Comment Jacques Tourneur, fils de Maurice Tourneur (cinéaste éclectique, mal connu et parfois passionant), né en France, dont l'enfance, la jeunesse et l'apprentissage cinématographique se sont passés en allers et retours entre la France et les Etats-Unis où il s'est installé définitivement à 34 ans et où il a depuis lors tâté un peu de tous les genres de films, de tous les budgets, de tous les métrages, en est arrivé finalement à composer une oeuvre aussi restreinte et aussi intense, quasi expérimentale, qui exerce sur le spectateur un ascendant parfois si fort, et dont la rigueur - qui en est la principale caractéristique - est au moins autant une source de perplexité qu'une source de plaisir: voilà qui est à peu prés impossible à dire. Ni son pére en tout cas, ni la France ne semblent avoir eu sur lui d'influence tangible. Il faut chercher ailleurs: peut-être dans l'oeuvre elle-même.

Dans la préface de son livre « L'Age d'Homme », Michel Leiris est amené à faire une distinction banale, mais intéressante, et dont les termes peuvent être repris: « Entre tant de romans autobiographiques, écrit-il, journaux intimes, souvenirs, confessions, qui connaisent depuis quelques années une vogue si extraordinaire (comme si, de l'oeuvre littéraire, on négligeait ce qui est création pour ne plus l'envisager que sous l'angle de l'expression et regarder, plutôt que l'objet fabriqué, l'homme qui se cache - ou se montre - derriére), "L'Age d'Homme" vient donc se présenter... » En reprenant cette terminologie, on pourrait dire que l'originalité de l'oeuvre de Tourneur - il faut bien la désigner d'une façon ou d'une autre - consiste en ce que la part d'expression s'y est presque complètement effacée au profit de la part de création. Création ex nihilo alors? Mais on sait que ce genre de création, Dieu seul en est capable (et encore). Non. La question reste: comment la part d'expression peut-elle ainsi s'effacer sans que la création elle-même ne s'efface du même coup et, dans ces conditions, comment peut-il encore y avoir une oeuvre? Je répondrai, non en vertu d'une théorie que je pourrais avoir là-dessus, mais par simple observation de ses films, que Tourneur a pu mener à bien cette expérience (car c'est une expérience, avec le risque habituel à toutes les expériences: n'aboutir à rien): 1° en s'effaçant derrière ses personnages; 2° en n'écrivant pas ses scénarios; 3° en exploitant méthodiquement l'acquis du cinéma d'aventures tel que pratiqué à Hollywood, et en particulier les refus dont cet acquis se compose; 4° en leur en ajoutant quelques-uns de son crû.

Ces quelques points demandent peu de commentaires.

S'effacer derrière ses personnages est impossible, au cinéma, sans une grande densité, une grande cohérence plastiques dans la description de l'univers autour des personnages. A la moindre faille dans cette description, le point de vue de l'expression prend en effet le pas, chez le spectateur, sur celui de la création; la plus petite échapée - par artifice, par maladresse ou par négligence - du personnage hors de son cadre est immédiatement interprétée par le spectateur comme un « signe », expressif de la mentalité de l'auteur. On dit - c'est la formule - que l'auteur s'est trahi. Cet effort de recréation plastique doit évidemment être repris à zéro à chaque film. Il exige un immense talent, et là, pas de tricherie possible. Cet immense talent existe dans l'oeuvre de Tourneur: dans la jungle monotone de Appointment in Honduras, dans l'austère et grandiose paysage urbain de The Fearmakers, dans le miniaturisme charmant des trois sketches de Frontier Rangers, etc., autant d'univers cohérents, clos et qui vont comme un gant à leurs personnages.

En n'écrivant pas ses scénarios. Bien entendu, Tourneur n'a pas refusé d'écrire ses scénarios, mais la contrainte où il a été souvent, et qu'il a acceptée, de ne pas les écrire, fait partie des conditions de l'expérience. Un grand nombre de scénarios peuvent d'ailleurs lui convenir: il ne lui faut, à l'intérieur d'un cadre plastique très particularisé, qu'un schéma d'action linéaire, très mouvementé - très logique aussi, et dont la mise en scène puisse encore accentuer la logique. Or il est beaucoup plus facile de saisir et d'accentuer la logique d'un scénario qu'on n'a pas écrit (qu'on a seulement corrigé), moins sensible qu'on est alors à d'éventuelles « richesses » marginales de l'histoire, et qui ne sont le plus souvent que des richesses parasites.

3° L'acquis du cinéma américain d'aventures allait fournir la matiére de ces scénarios. Nulle part ailleurs qu'en Amérique (Hollywood) n'existe un acquis cinématographique qu'on puisse pour ainsi dire utiliser sans avoir à y toucher. L'oeuvre de Tourneur est essentiellement américaine en ce sens qu'elle n'aurait pu le trouver nulle part ailleurs. Cela dit, rien chez elle de typiquement américain, rien qui corresponde à un quelconque attachement au sol; d'où peut-être, et c'en serait déjà une explication, ce caractére désolé et poignant qu'elle a si souvent et à quoi elle est aisément reconnaisable.

Tout acquis, quel qu'il soit, d'art ou de civilisation, vaut surtout et se définit paradoxalement par ses refus. Une invention qui n'existerait pas en deçà de certaines barrières, une liberté sans frein, sont des vues de l'esprit, de tristes et non créatrices vues de l'esprit. Le cinéma américain a essayé autant que possible d'éviter cette tristesse-là, comme il a essayé d'éviter cette autre tristesse qu'évoque avec bon sens Mankiewicz: « Qu'il s'agisse d'une pièce ou d'un film, on doit faire penser le public malgré lui... Le public vient et si vous êtes un bon dramaturge, il sort en pensant. Telle est à mon sens la marque de notre réussite. Mais si le public vient pour penser, alors tout cela devient un peu pédant, un peu triste aussi. »

Cet acquis repose notamment sur le refus du psychologique au profit du tragique; sur le refus de la structure libre au profit de la stabilité des genres; sur le refus de la formulation littéraire et discursive de l'idée ou des idées du scénario au profit de leur incarnation en une variété réelle d'épisodes, péripéties, itinéraires, métamorphoses, etc... A l'aide de nuances (pour les apercevoir, il suffit d'écrire: priorité du tragique sur le psychologique, priorité des genres sur la structure libre...) à l'aide aussi d'une grande intelligence, la plupart des cinéastes américains ont réussi à s'exprimer parfaitement en fonction de cet acquis. Et ils l'ont fait selon deux directions principales: découverte et exaltation d'un équilibre vital à partir de quelques aspects - soigneusement sélectionnés - de la vie et de l'histoire américaines (lignée Walsh); adoption d'un point de vue critique sur un type de société contemporaine - en général celle que l'auteur a sous les yeux - regardé comme le lieu d'élection de certaines aspirations permanentes et maléfiques de l'homme (lignée Lang). L'oeuvre de Tourneur est aussi éloignée de l'une que de l'autre.

4° La notion de genre a déjà par elle-même, dans le cinéma américain, une tendance à se vider de son contenu psychologique, social ou moral pour laisser place à un élément mythique et parfois - plus rarement - érotique, qui en résume et en avive le sens. Tourneur épouse cette tendance mais lui enléve encore son aboutissement mythique et érotique. En arrive-t-on alors à ce « vide barométrique de la mise en scène » dont parlait André Bazin à propos de Beyond a reasonable doubt, ou au célèbre « couteau sans lame auquel manque le manche » de Lichtenberg? Je ne crois pas. Ce qui reste d'une telle expérience, c'est la beauté - beauté d'archétype, sculpturale et plastique, et presque invraisemblablement belle - de l'action au moment où elle s'accomplit, qu'elle marque, use, fait et défait celui qui l'accomplit; beauté nullement hypothétique d'ailleurs, ferme et compacte au contraire, l'absence de justification et de perspective où elle est saisie augmentant en elle ces qualités; beauté nullement nouvelle non plus (elle existe même, de temps en temps, dans la plupart des films, mais dispersée, hasardeuse, alors qu'elle est ici le noyau de l'oeuvre) et qu'on retrouve par exemple, dans un esprit et sur un sol tout différents, dans une nouvelle forme comme « L'Enlèvement de la Redoute » de Mérimée.

L'Eros lointain et pâle des films de Tourneur paraît aussi étranger à l'Eros flamboyant de Walsh qu'à celui, funèbre, de Fritz Lang. A vrai dire, il n'est pas sur le même plan qu'eux. Inexpressif, parfaitement incorporé au conflit des personnages, à l'intérieur duquel il sert le plus souvent de prétexte à quelque ruse, à quelque nouveau stratagème, c'est l'Eros typique d'un auteur qui, une fois de plus, refuse une occasion de se laisser trahir, et c'est peut-être, plus typique encore, l'Eros de la véritable action et la véritable aventure, celui qui fait penser à une phrase d'un roman de Pierre Benoît (que je n'ai pu retrouver) où l'auteur dit qu'il faut avoir traversé les sables du désert, avoir eu soif, avoir eu peur, avoir cru mille fois sa dernière heure venue, avant de se risquer à émettre un jugement sur l'importance exacte de l'érotisme dans l'homme.

Avec l'élément érotique disparaît également l'élément mythique de chaque genre. Le cadre respectif du western, du policier, du film fantastique convient à Tourneur, mais dans la seule mesure où il est propice à la révélation de cette ténacité qui est l'expérience de base de ses personnages. (N'allons pas surtout nous fixer sur le mot, en faire un thème ou quelque ineptie de ce genre; et d'ailleurs, en cherchant, on trouverait sans doute un mot meilleur). Je veux simplement préciser que les plus beaux moments de ses films sont sans doute ceux où le cadre et les humeurs des personnages, et qui ne sont qu'un cadre et que des humeurs - celles-ci pouvant aller de la camaraderie chevaleresque de Joel McCrea dans Wichita à l'égoïsme cynique de Victor Mature dans Timbuktu - commencent à s'estomper, replacent ces personnages dans le pur présent (le présent figé, le présent implacable) de leur entreprise, et paraissent alors rigoureusement interchangeables.

L'apport spécifique de Tourneur aux différents genres serait tout au plus de glisser dans tous une pointe de fantastique, si l'on veut bien limiter cet apport au rythme du récit, fait d'une succession irrégulière, déprimante, non dynamique, d'instants de lassitude et d'instants de terreur, où reparaît d'ailleurs, curieusement, la rigueur de l'auteur. C'est que nous avons à faire ici à un auteur qui tire les contrastes dont il a besoin de son sujet même, et non par allusion à des éléments qui lui sont étrangers - méthode défectueuse et par trop répandue où il faut chercher l'explication du vieillissement prématuré de tant de films fameux. Il n'ira pas, par exemple, opposer l'âpreté de l'action à quelque idéal contemplatif dont ses personnages n'ont pas le souci et, à plus forte raison, pas la nostalgie. Il préfère montrer que l'action a ses temps morts, qu'elle a ses propres contrastes, notamment ce contraste de la lassitude et de la terreur qu'il sait peindre admirablement; car le cycle de l'action - peur, fatigue, souffrance et mort - qui est un cycle terrifiant, est aussi un cycle monotone. On sent cela à travers les films de Tourneur.

On y sent aussi autre chose. Durant toute sa carrière, Tourneur a eu à sa disposition quelques-uns des plus prestigieux visages d'homme d'action du cinéma américain: Robert Mitchum, Robert Ryan, Joel McCrea, Ray Milland, Dana Andrews - surtout Dana Andrews -, et le moins qu'on puisse dire est qu'il leur a rendu justice. L'intérêt de ces visages tient, pour une bonne part, à une certaine « inexpressivité » qui leur est propre et qui en dit plus long, finalement, que n'importe quelle invention de scénariste ou de dramaturge. Sur le visage de Dana Andrews, en particulier, s'inscrivent et se reforment des vérités d'ordre à la fois élémentaire et général qui sont une autre façon de résumer le propos de Tourneur. L'action, y lit-on, est, sous ses aspects variés, dans ses dangers variés, une compromission, un esclavage. Compromission, esclavage par rapport à la nature, d'abord, qui sculpte, qui dessine dans les chairs ce qu'elle veut et comme elle veut; et paradoxalement les films de Tourneur sont ceux où, du début à la fin, on a le plus l'impression de voir vieillir les personnages - revanche du Temps sans doute, expulsé artificiellement de la mentalité des protagonistes. Compromission aussi, renoncement, par rapport à ce que nous aurions voulu être, voulu faire, par rapport aux gens que nous aurions voulu rencontrer, aux sites où nous aurions voulu vivre; renoncement, surtout, à tout ce que nous aurions voulu apprendre et découvrir. (Le héros de Tourneur, essayons de le dire sans littérature, est un héros entouré de fantômes et de mystères insolubles, de mystères qu'il renonce peu à peu à résoudre.) Compromission en définitive, et rien d'autre, nos efforts, nos souffrances. Je m'arrêterai là.

***

Les meilleurs films de Tourneur sont: Circle of danger, Way of a gaucho, Appointment in Honduras, Wichita, Night of the demon, The Fearmakers, Timbuktu. Parmi ceux-ci, les plus caractéristiques: Appointment in Honduras, Night of the demon, The Fearmakers.

Jacques LOURCELLES

Présence du Cinéma n° 22-23, setembro-outubro 1966

sexta-feira, 16 de maio de 2008

Moins par moins égale plus

par Serge Daney

1. Il y a dans Le Départ une scène où Jean-Pierre Léaud et son complice, lui aussi garçon-coiffeur, se font passer por un maharadjah et son secrétaire. On comprend assez vite qu'il s'agit d'une supercherie (rires) mais il est difficile de ne pas croire - ne serait-ce que quelques secondes - à l'existence dudit maharadjah. Ces quelques secondes sont peut-être tout l'art de Skolimowski: un homme qui raconterait merveilleusement des histoires et qui les achèverait avec un fin sourire en moquant la crédulité de son auditoire. De quel prix serait la dérision si elle ne s'accompagnait pas d'un art au moins égal à rendre les choses « plausibles »? Ceux qui se moquent de leur propre parole doivent d'abord être de beaux parleurs. Sinon...

2. Dans Le Départ, un jeune bruxellois rêve de participer à un rallye automobile. Comme il se doit (constante skolimowskienne), une fille plus calme et plus âgée que lui devient, sans raison apparente, sa complice et sa compagne. Après une journée épuisante (discussions, marchandages, bagarres, tentative de viol, travail, rencontres, etc.), le héros loue une chambre d'hôtel. Le lendemain matin, il est réveillé, par le bruit des voitures qui passent: il ne s'est pas réveillé, il a manqué le départ. Ce qui est très fort dans cette histoire, c'est qu'à aucun moment on n'envisage cette fin alors qu'en toute logique, c'est la seule possible. Lorsqu'on arrive à la dernière scène, on se dit « bien sûr... », mais c'est trop tard. Dans Le Départ, Skolimowski a donc encore mieux dissimulé les ficelles de son histoire que dans les films précédents. Il prouve par là qu'il peut réussir à peu près n'importe quoi, par exemple un film commercial...

3. En même temps, Le Départ est un film pour rien, moins audacieux que La Barrière, moins souverain que Walkover. Il y a à cela plusieurs raisons, toutes secondaires: dialogues moins soignés (Skolimowski ne parle pas belge), photo (Kurant) un peu sale, etc. Il faut prendre ce film pour un exercice de style et y déceler les risques de l'art pour l'art. Par ailleurs, il serait malséant de raprocher à Skolimowski son trop-plein de talent. Il a le droit de faire un ou deux films sur la lancée de Walkover, vu l'importance et la beauté de ce dernier film.

4. Les personnages de Skolimowski sont d'autant plus obstinés, liés à une idée fixe, que le monde ne cesse de se dérober à leur contact. Ils ne peuvent vivre que dans l'attente d'un événement important, d'une épreuve decisive, toutes choses qui n'arrivent jamais ou qui arrivent mal. Ne subsiste qu'une frénésie d'autant plus intense qu'elle est rigoureusement entropique. Il ne saurait y avoir de point final, de leçon définitive, par contre toutes les parodies sont permises. C'est que le provisoire est la seule réalité, la seule valeur et peut-être la dernière. Certitudes fuyantes, points de repère méconnaisables (déguisés), le monde continue sur sa lancée mais quelque chose (mais quoi?) n'est pas à sa place. Ce naturel même est suspect: c'est un rêve dont le rêveur sait déjà qu'il va finir bientôt. Moments où tout est suspendu, provisoire, inachevé (dont Gombrowicz dit qu'ils sont la recherche - provisoire - de « l'immaturité »).

5. Revenons au maharadjah. Le goût de Skolimowski pour les farces, les gags, est sans doute polonais, certainement une survivance potache, à coup sûr une chose grave. Si tout film se révèle pour finir une « mystification », beaucoup de bruit pour rien et de fausse rigueur pour un réel sentiment du vide, il va de soi que chaque plan, à chaque instant, peut être « piégé ». Ainsi ce qui semblait spontané peut révéler soudain (il suffit d'un travelling avant, arrière, ou d'un zoom) son appartenance à un plan prémédité. Tout est lisible à plusieurs niveaux: on voit ainsi les irréalismes et les étrangetés de Walkover et de La Barrière devenir explicables, réalistes, en un certain sens. Le rêve et la réalité se livrent à un échange de bons procédés au terme duquel ils se ressemblent beaucoup. Qu'on pense à la séquence qui ouvre La Barrière. Qui osera dès lors se prononcer, sur quoi que ce soit?

6. Voilà le domaine de Skolimowski: convaincre en même temps du caractère évident et arbitraire du cinéma. Un plan peut appartenir, simultanément, à deux ou trois contextes possibles où il aurait un rôle différent mais plausible. Il s'agit uniquement de ne pas limiter le sens, non pas en faisant des films « insensés » mais, au contraire, en leur donnant trop de sens. Ce qui compte, c'est le dépaysement: pendant quelques secondes ne plus reconnaître le monde ou la place de Brouckère, ne plus même savoir si ce monde est fait à notre usage. Pendant une seconde douter de tout et ne pas s'habituer. On s'habitue moins vite aux choses lorsqu'elles sont à double ou triple sens. C'est ce que racontent les films (il vaut mieux s'agiter dans tous les sens que d'arriver quelque part). C'est aussi la manière dont ils sont racontés (il vaut mieux agiter tous les sens, tous les registres...). Skolimowski est l'homme qui dit: voilà un personnage, si je le filme de loin, c'est de la comédie musicale, de plus près c'est du mélodrame, d'encore plus près, c'est du cinéma-vérité. Tout est vrai. Que chacun choisisse ce qui lui convient. Moi, je choisis tout.

Cahiers du Cinéma n° 192, julho-agosto 1967

terça-feira, 13 de maio de 2008

« (...) qui reste en ses meilleurs moments comme l'éternelle enfance d'un art que d'autres ont mûri, sans doute, et ouvert à des plus amples horizons... »

« ... mais c'est n'est pas si répandu, l'enfance de l'art. »

sábado, 10 de maio de 2008





The Ghost and Mrs Muir offre un alliage rare, presque unique, entre l’expression d’une intelligence déliée et caustique et un goût romantique de la rêverie s’attardant sur les déceptions, les désillusions de l’existence. Le film n’appartient à aucun genre connu et crée lui-même son genre pour raconter, avec une poésie déchirante, la supériorité mélancolique du rêve sur la réalité, le triomphe de ce qui aurait pu être sur ce qui a été. C’est également un film sur la solitude, sur ces âmes insatisfaites et rêveuses à qui la solitude justement ouvre la voie vers la connaissance de la nature, vers une forme lointaine et presque immatérielle de bonheur.

Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma

sexta-feira, 9 de maio de 2008

Maio 68

Ou: um mundo que se ergue sobre os destroços de outro, usando o outro como barricada.

40 anos depois ainda não é de todo certo que conseguimos nos desfazer dos destroços do velho mundo, nem que esses destroços tenham deixado de servir como barricada para todos nós.

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