par Sophie Grassin
Dans les années 50, une bande de pionniers cinéphiles jette son dévolu sur la salle du XVIIe arrondissement. Aujourd'hui encore, son directeur maintient le cap. Un peu d'histoire...
Ils révisaient les réputations. Excommuniaient Bergman ou Antonioni. Imposaient Lang, Losey, Walsh, Preminger, Fuller, Freda et Cottafavi. Puritains du grand écran, intolérants par excès de sincérité, défenseurs des cas désespérés, les mac-mahoniens ont, dans les années 50, mis leur puissance excavatrice au service de films méprisés, lutté contre l'injustice, un peu écrit, beaucoup œuvré. Et rendu célèbre le Mac-Mahon, salle de ciné mythique de l'avenue du même nom, Paris, XVIIe, qui fête ses 60 piges.
Les plaines walshiennes
1951: un certain Pierre Rissient dégourdit, avec ses condisciples du lycée Carnot - Michel Mourlet, Marc Bernard, etc. - la programmation du Mac-Mahon. Le cinéma est alors fréquenté par les officiers américains de l'Otan. Et Emile Veillon, le propriétaire (il jouera dans A bout de souffle, avec sa caissière), approuve. «C'était un type influençable et pompeux», lâche Bertrand Tavernier, nickel-odéonien, c'est-à-dire créateur, aux côtés du poète Yves Martin, de Bernard Martinand, de Pierre Maginot, de la ligne du Nickel-Odéon, ciné-club cousin du Mac-Mahon. «Folklo, Veillon était d'abord folklo», rectifie Bernard Martinand, directeur des Collections films à la Cinémathèque. Emile laisse, en tout cas, les coudées franches à Rissient.
Devenu l'âme du mouvement, ce dernier rétablit les films de genre dans leurs titres de noblesse. Dynamite le discours de la critique. Montre des longs-métrages inaccessibles à l'époque. Pose les bases d'une éthique qui préfère Lang à Hitchcock, et le revendique. Car les mac-mahoniens auront le bémol rare. Persuadés qu'oncle Alfred truque l'espace et le temps, ils aimeront Fenêtre sur cour, mais jugeront Sueurs froides surfait. Douteront toute leur vie de la capacité d'Antonioni à adapter un scénario à l'écran. Et opposeront - pour une sombre question de focales - la puissance de La Splendeur des Amberson (Welles) à l'abomination de Citizen Kane (du même).
Juste retour des choses: quand ils aiment, ils aiment, dénoncent la pensée dominante, ne ménagent pas leur peine. Et sortent de leur manche leurs cinéastes préférés réunis au sein du «carré d'as»: Losey, Lang, Preminger et Walsh. Victime du maccartisme, Losey, pour ne citer que lui, se cache à la fin des années 50 sous un nom d'emprunt. Rissient visionne Le Garçon aux cheveux verts (1948) dans une banlieue londonienne (deux longs-métrages au programme) et rapplique à Paris avec la copie. «Sans nous, Losey n'aurait jamais eu de seconde chance», raconte-t-il aujourd'hui.
Fritz Lang non plus. La MGM, qui a sorti Les Contrebandiers de Moonfleet en province, refuse de distribuer le film dans la capitale. Le sang des mac-mahoniens ne fait qu'un tour. La critique dézingue-t-elle Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou? Ils volent au secours «de cette simplicité. Cette masse de fonte qui, si vous ne savez pas la déchiffrer, ressemble à une bande dessinée», se souvient Alfred Eibel, du Nickel-Odéon, qui finança, dès le n° 9, Présence du cinéma, revue issue du Mac-Mahon. Bref, la légende enfle. Simon Mizrahi, nickel-odéonien, tente de capter la magie de l'endroit dans un texte fameux au lyrisme tremblé: «Après avoir descendu les escaliers rouges du Mac-Mahon, [on découvrait] les plaines walshiennes cinémascopées, les petites maisons rayiennes sous la neige...»
Le Mac-Mahon, dogme 1
En août 1959, le n° 98 des Cahiers du cinéma publie le manifeste du mouvement: «Sur un art ignoré», signé de son théoricien, Michel Mourlet. Mourlet y affirme la primauté de la mise en scène. «C'est elle qui organise un univers. Elle qui couvre l'écran. Elle et rien d'autre.» Rien d'autre, vraiment? «Oh là là, si! réplique Alfred Eibel. Les mac-mahoniens avaient l'obsession du cadrage. Scrutaient la peau des comédiens et la profondeur du champ. Ils défendaient le principe de “fascination”, comme celle qu'exerçait la danse de Debra Paget dans Le Tigre du Bengale. Prisaient les éclairages naturels. Mais admettaient la foudre, élément dramatique chez Walsh.»
Eibel ajoute: «Leur sectarisme, si sectarisme il y avait, découlait de leurs partis pris esthétiques.» Sectarisme y eut-il? Disons que pour se rebeller contre l'ordre établi il fallut renchérir souvent, vociférer parfois, s'engueuler toujours. «Nous ressentions les choses au plus profond de nos tripes, dissèque Pierre Rissient. Et ne comprenions pas que d'autres les ressentent autrement.» «Mais tout cela se situait à des années-lumière du terrorisme actuel», poursuit Bernard Martinand. Les mac-mahoniens pouvaient injurier un critique coupable d'avoir défendu un film éloigné de leur orbite; ils pouvaient aussi éduquer les directeurs de salle. Un cinéma de la place Blanche affichait, par exemple, Les Légions de Cléopâtre, de Vittorio Cottafavi. Un premier mac-mahonien téléphonait: «Vous passez bien Les Légions de Cléopâtre? - Ch'sais pas, je vais voir.» Au sixième coup de fil, le directeur rétorquait: «Les Légions de Cléopâtre, absolument, jeune homme. C'est un film de M. Cottafavi.» Les mac-mahoniens savaient donc rire? «A cette époque, le cinéphile, proche du glandeur, vivait par procuration, remarque Alfred Eibel. Il pouvait donc discuter toute la nuit d'un pantalon moulant porté par Elsa Martinelli. Comme l'assurait Serge Daney, qui fut critique à Libération: “Le meilleur du cinéma ne gît jamais dans les écrits, mais dans la conversation.”»
L'affaire Liberty Belle ou Soigne ta droite
En 1983, le réalisateur Pascal Kané, rédacteur aux Cahiers du cinéma, joue la provoc en mettant en scène un mac-mahonien type, auxiliaire de l'OAS. Titre du film: Liberty Belle. «Une vue de l'esprit dictée par la mauvaise foi, conteste Pierre Rissient. Nous ne voguions pas à droite, Lang était plus libéral que Hitchcock. Walsh, plus à gauche que Hawks, Losey plus que Ray. Et Preminger que Ford.» «Mourlet écrivait bien dans ce truc honteux, Défense de l'Occident, renchérit Bertrand Tavernier. Mais de là à l'imaginer préparant un putsch avec les paras... Sortir sa pipe représente déjà pour lui un exercice physique.» Et puis: «Losey était couché sur la liste noire et Pierre [Rissient], ami de Roger Vailland, a confirmé, de la découverte de l'Anglais Mike Leigh à celle du Philippin Lino Brocka, l'amorce de ses engagements.»
Roger Vailland venait en visite au Mac-Mahon, qui portait Bon Pied bon œil aux nues. Car le mouvement défendait une littérature aussi éclectique qu'ambitieuse: Brecht, Bataille, Stendhal, le cardinal de Retz, la Série noire. Les 50 premières pages de celui-ci, tel roman de celui-là. «Il était ainsi de bon ton d'écarter On achève bien les chevaux, de Horace McCoy, se rappelle Alfred Eibel, pour encenser, allez savoir pourquoi, une autre de ses œuvres, Pertes et fracas.»
Mac-mahonien un jour, mac-mahonien toujours
Même s'ils ont moins souvent empoigné la caméra que leurs comparses hitchcocko-hawksiens des Cahiers, les walshiens ont permis à certains films d'exister, sans vidéo et sans télé. Pierre Rissient, cinéaste et distributeur, a gardé l'œil mac-mahonien. Il voyage donc, de Los Angeles à Hongkong, afin de dénicher, avec dix ans d'avance, les réalisateurs de demain: Boorman, Schatzberg, Campion, Kiarostami, etc., sont à mettre à son actif. La salle, elle, tient le cap, entre les mains d'Axel Brucker, fils de l'ancien propriétaire du Vendôme. Axel a acheté le Mac-Mahon parce qu'il passait devant quatre fois par jour sur le chemin de Saint-Louis-de-Monceau, par désir, par plaisir, pour connaître la fierté de perdre de l'argent avec Lubitsch. «Quand j'ai commencé, voilà quinze ans, je voulais faire un Mac-Mahon pur et dur, quasi flagellatoire, avoue-t-il. Aujourd'hui, j'essaie d'inscrire le cinéma actuel dans son histoire.» De dresser des ponts entre Titanic et Ben-Hur - bon courage! - et de pousser les jeunes à venir: «Il n'y a pas mieux pour séduire. Fred Astaire baise la main de Ginger Rogers. La jeune fille sur le fauteuil d'à côté n'est plus qu'un jouet. Vous avez l'air intelligent.» Le Mac-Mahon, providence des cinéphiles, des grands bavards et des amants.
quinta-feira, 27 de dezembro de 2007
La légende du Mac-Mahon
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