sábado, 11 de fevereiro de 2012

Un film impoli

par PIERRE RISSIENT


Je sais, je risque d’être partial...

Je serai partial parce que déjà en 1965, un immense film, Gempelerya [Changements au village] n’a pas été reconnu à sa hauteur. Je serai partial parce qu’il n’y a pas si longtemps Wekande Walauwa [Le domaine] a été martyrisé en grande partie à cause de l’extrême dénuement de ses moyens techniques aux yeux de ceux qui n’ont pas su ou voulu voir la magnificence en profondeur d’un grand cinéaste, Lester James Peries, qui lui voit – et avec quelle humilité – comme à rebours, le périple de sa vie, les changements de son village, de sa ville, de son pays. Je serai partial aussi parce que l’on a été injuste envers Sumitra, l’épouse de Lester, dont La sœur aînée est fait de cette même douceur et de cette même douleur...

Oui, je serai partial alors que l’on méconnaît trop le seul cinéaste au monde qui soit encore le Griffith de son pays – Rekava [La ligne du destin] est au Sri Lanka le film fondateur que Naissance d’une nation fut aux Etats-Unis. Aujourd’hui, avec Prasanna Vithanage, Vimukhti Jayasundara et Asoka Handagama, le Sri Lanka nous envoie non pas des « fils », ni des « héritiers », mais je dirais plutôt des « neveux »... Qu’on en juge sur le cas de La traversée du rêve [A Letter of Fire], le cinquième long métrage de Asoka Handagama.

Nul doute que certains vont se récrier devant le nouveau film d’Asoka comme on le fit devant certains mélodrames de celui qui n’était pas encore reconnu et inscrit au répertoire sous le nom de Douglas Sirk... La traversée du rêve est un film impoli : ne tourne-t-il pas le dos à tous les clichés, à tous les modèles que certains attendent, exigent même, de ces contrées cinématographiques en voie de développement d’où il nous parvient ? La traversée du rêve est un film impoli et barbare : sa barbarie, le film la doit d’abord au choc d’une histoire qui se déroule dans la très haute bourgeoisie, dans l’opulence urbaine d’une société dont on avait pris l’habitude de nous montrer que les classes déshéritées, la pauvreté rurale... Certains de ses personnages ne sont guère plus que des fantoches frivoles. Mais Sirk n’écrivait-il pas aussi sur du vent ?

La traversée du rêve est aussi un film décadent, qui ravive quelque part en moi de vieux souvenirs de lecture de Barbey d’Aurevilly, Huysmans, Villiers de l’Isle Adam, sans que je puisse en dire plus. C’est un film vociférant, le tympan se voile souvent et soudainement : on ne perçoit plus alors les vibrations émotionnelles qu’en sourdine. Et puis le voile se déchire, hurlant : on est à vif, irrité oui... Vous voyez à quel point nous sommes loin de ce « world cinema » policé qui ne sait plus vivre dangereusement !

A l’image de son créateur, La traversée du rêve est un film ambivalent qui se retourne sur lui-même, un film naïf qui pourtant, curieusement, sait rire de sa naïveté, un film irréel qui, telle la figure du père, son personnage central et absent, finit par s’inscrire dans la pierre. Un film presque trop long, ce n’est pas loin d’être vrai, une musique parfois contestable et trop abondante, j’en conviens. Et vous pourrez être, comme je le suis, ambivalent à son égard, saisi par la nature extrême, excessive, de ce film de feu... Un film irrévérencieux, mais d’une telle élégance et d’une telle force dans sa façon de tirer sa révérence.

Au fond, est-ce que je suis si partial ?...



Paris, juin 2005

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