Que savons-nous de la Grèce aujourd’hui... Que savons-nous des pieds agiles d’Atalante... Des discours de Périclès... A quoi pensait Timon d’Athènes en grimpant au forum... Et cet écolier de Sparte pendant que le renard mangeait son ventre. Elargissons le débat... Que savons-nous de nous-mêmes, hormis que nous sommes nés là il y a des milliers d’années... Que savons-nous donc de cette minute superbe où quelques hommes, comment dire, au lieu de ramener le monde à eux comme un quelconque Darius ou Gengis Khan, se sont sentis solidaires de lui, solidaires de la lumière non pas envoyée par les dieux mais réfléchie par eux, solidaires du soleil, solidaires de la mer...
De cet instant à la fois décisif et naturel, le film de Jean-Daniel Pollet nous livre sinon le trousseau complet, du moins les clés les plus importantes... Les plus fragiles aussi... Dans cette banale série d’images en 16 sur lesquelles souffle l’extraordinaire esprit du 70, à nous maintenant de savoir trouver l’espace que seul le cinéma sait transformer en temps perdu... Ou plutôt le contraire... Car voici des plans lisses et ronds abandonnés sur l’écran comme un galet sur le rivage... Puis, comme une vague, chaque collure vient y imprimer et effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel... La mort aussi puisque Pollet, plus courageux qu’Orphée, s’est retourné plusieurs fois sur cet Angel Face dans l’hôpital de je ne sais quel Damas...
Jean-Luc GODARD.
Cahiers du cinéma n° 187, fevereiro 1967
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