Le cinéma de Marc Donskoi - tel que nous l'a révélé l'hommage que lui a consacré la Cinémathèque française - nous frappe par un singulier amour de la vie. Cette tendresse un peu émue, cet attachement envers tout ce qui naît, cette prédilection pour les enfants; voilà qui ne nous éloigne guère des poncifs du cinéma soviétique et Donskoi ne nous serait rien si, pour lui comme pour les grands, la cruauté n'était la condition de cette tendresse, l'étouffement le lot de la vie et la tragédie l'exigence du bonheur, quand bien même il y faudrait mettre le prix de sa vie.
Parce qu'il croit à l'éclosion finale de la vie, Donskoi s'est attaché à tout ce qui la bride et l'étouffe. L'existence, fébrile et précaire, toujours menacée, saisie sur le visage incompréhensif des enfants, nous mène plus près de Griffith que des autres cinéastes russes. Il y a là une volonté de peindre cette éclosion par tout ce qui la contrarie ou la retarde - et, par là-même, lui donne du poids: la contrainte politique (La Mère, 1955), la description d'un monde étouffant (la trilogie d'après Gorki, 1938-39), la chronique d'un village martyr (L'Arc-en-ciel, 1943), et jusqu'à la légende malheureuse des amants séparés, lorsqu'à l'injustice des hommes se joint celle du hasard (Le Cheval qui pleure, 1958). Thématique commune à tous les films, mais surtout préoccupation majeure du cinéaste: c'est lorsqu'elles sont perdues ou encore à conquerir que les choses existent vraiment: ainsi, le bonheur.
Une même intention préside à la forme des films. Si seule la contrainte donne du prix à l'épanouissement, seule la discontinuité sera promesse d'équilibre. D'où un art qui nous frappe par sa modernité: fondé sur les oppositions, ruptures de ton, complexités de construction et à propos duquel il n'est pas déplacé de parler de musique. Le cinéaste allant jusqu'à ponctuer ses films de rimes intérieures, mouvements de caméra, ne répondant à aucune nécessité si ce n'est celle d'instaurer un réseau de correspondances tout musicales (La Mère). Un art dont l'aboutissement, passées les cassures et les discordances, est une note, une mélodie, dans tous les cas un éclatement: le triomphe final de la vie: l'ultime chevauchée d'Et l'acier fut trempé, 1942, la pluie de tracts de La Mère, le combat libérateur qui clôt L'Arc-en-ciel.
Que ces partis pris se retournent parfois contre Donskoi, que, dans les moins bons films, l'étouffement débouche sur l'ennui, n'ôte rien au mérite du cinéaste, mais prouve seulement que chez lui, comme chez tous les cinéastes inspirés, la beauté semble toujours accordée « de surcroît », indépendamment des formules.
C'est donc entre l'élégie et la cruauté, entre Le Cheval qui pleure et L'Arc-en-ciel, qu'il faut placer Marc Donskoi, s'il est vrai, selon les paroles du cinéaste, qu'il faut savoir haïr pour pouvoir aimer.
Serge DANEY.
Cahiers du Cinéma nº 154, abril 1964, pp. 52
terça-feira, 2 de outubro de 2007
RETROSPECTIVE DONSKOI
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