o signo do dragão

segunda-feira, 14 de setembro de 2015

La Route semée d'étoiles. Ciné Cinéfil, 16 h 55.

LOUIS SKORECKI 7 NOVEMBRE 1997 À 13:26

Citer Jacques Lourcelles, c'est rendre tardivement hommage à l'un des plus fins critiques du cinéma hollywoodien finissant, et à Présence du cinéma, belle revue conservatrice qu'il anima dans les sixties, avec son définitif carré d'as des quatre maîtres du cinéma classique, soit deux borgnes (Lang, Ford) et deux néo-brechtiens (Preminger, Losey). C'est aussi rappeler la judicieuse politique dite «des plus beaux moments des plus beaux films», soit la seule alternative encore possible à la vieillotte et inopérante politique dite des «auteurs», politique qui avait déjà du plomb dans l'aile quand Godard, Rivette, Rohmer lancèrent à la face du monde le concept malin et protohistorique.

Lourcelles donc. Admirateur ébloui de cette Route semée d'étoiles kitschement somptueuse, il en déduit quelques lignes inspirées dans son indispensable Dictionnaire des films (Bouquins, Laffont, 1 740 pp., 185 F). Par exemple: «Une sorte de béatitude, de contentement profond de l'âme qui passe des personnages aux spectateurs comme un courant magique.» Sans être le chef-d'oeuvre absolu du génial et méconnu Leo McCarey, la Route semée d'étoiles brille de tous ses malaises malheureux, instillant du bonheur fondamentalement frileux aux quatre coins de ses plans séquences chantés. Devant ce film se retrouvent deux thèses opposées mais pas antithétiques, celle qui voudrait voir en McCarey le propagandiste inlassable du bonheur sous toutes ses formes, et celle qui lie au contraire dans son oeuvre l'impossibilité de l'harmonie et le règne absolu de la gêne. Avec son film jumeau, les Cloches de Sainte-Marie, heureusement programmé il y a peu sur ce même Ciné Cinéfil (Ingrid Bergman y tombait sous le charme du même curé chantant, ce sublime entonneur d'opérette qu'est Bing Crosby, l'homme qui a littéralement inventé Sinatra), la Route semée d'étoiles est un monument d'irréalisme familial et de bonhomie insurpassable.

SKORECKI Louis

segunda-feira, 31 de agosto de 2015

Union Pacific

CINECINEMA CLASSIC, 16 h 30

Par Louis SKORECKI

Entre Cecil B. DeMille et moi, il y a un pacte d'amour. Comme avec Lang, Dwan, Walsh. Je ne crois pas à la fiction d'un DeMille pyrotechnicien ou régisseur de spectacles filmés. Ni ses péplums, ni ses mélos historiques, ni ses délires bibliques ne relèvent du show-biz. C'est un moraliste, un primitif griffithien, un point c'est tout. Remonter à DeMille, c'est remonter à la source du cinéma, ce Nil naïf dont on a perdu la trace depuis longtemps. Erudition racée, sens inné du cinéma frontal et populaire (mais jamais populiste), longue fréquentation de la grande déception monochrome, celle qui fait le charme de l'art d'usine hollywoodien hélas enfui.

Tu parles de moi ?, dit une petite voix. Qui êtes-vous ?, je dis. Je suis DeMille, dit la voix. Moi, c'est Skorecki, je réponds. Et votre petit nom ?, demande Cecil. Louis, je dis. Que pensez-vous d'Union Pacific? C'est du niveau de votre meilleur film, l'Odyssée du docteur Wassell, je dis. Je pense qu'entre 1936 (Une aventure de Buffalo Bill) et 1946 (Unconquered), vous avez fait vos meilleurs films. De quand date Union Pacific?, dit DeMille, j'ai oublié. 1939, je réponds; et avec Joel McCrea, l'un de mes acteurs préférés. Je l'aime moi aussi, dit DeMille. Je l'avais d'ailleurs dirigé dès 1929, dans Dynamite. Saviez-vous que Joel McCrea avait tourné avec Allan Dwan, Raoul Walsh, Howard Hawks, Edward Ludwig, Preston Sturges, Jacques Tourneur ?, je dis. Pas mal, répond DeMille.

terça-feira, 25 de agosto de 2015

Du côté de chez Dwan

02/08/2002 à 00h34

Le festival de Locarno consacre une rétrospective au grand cinéaste américain oublié, qui tourna près de 300 films avant de mourir à 97 ans.

SKORECKI Louis

Quarante films d'Allan Dwan sont programmés à Locarno. C'était un très grand cinéaste, le chaînon manquant entre le fondateur du classicisme américain, DW Griffith, et ses deux disciples les plus célèbres, John Ford et Raoul Walsh. Si le nom de Dwan est moins connu que celui de Ford (qu'il fit débuter comme accessoiriste et homme à tout faire), c'est la faute à la télévision. Un cinéaste ne saurait exister si la télé l'ignore. Qu'on se rappelle l'étrange histoire de Raoul Walsh. Il y a quatre ou cinq ans, personne ne connaissait son nom. Depuis que Cinétoile et Ciné Classics l'ont programmé, c'est simple, il est devenu un classique. C'est bien, c'est mal, allez savoir. Disons que c'est comme ça. La vie et la mort des cinéastes tiennent à peu de chose. Elles tiennent à ce petit bout d'écran ridicule, tenu encore en suspicion par trop de cinéphiles nostalgiques des salles qu'ils n'ont même pas connues. C'est cette même télé, en l'occurrence Arte, qui passait il y a deux semaines l'un des chefs-d'oeuvre d'Allan Dwan, le rarissime Tide of Empire (Naissance d'un empire), son dernier muet. N'y pas parler semblait dérisoire tant il était évident que le silence lui donnait des ailes.

Le plus grand cinéaste oriental de l'Ouest américain

Moins épique que Griffith, l'art dwanien repose sur un sens extraordinaire de l'équilibre, un sens de l'harmonie qu'il ne partage avec personne. C'est le cinéaste de la mesure et du bonheur, une sorte d'Ozu bonhomme ou de Mizoguchi rieur. Depuis les années dix, il a jeté sur le monde, à partir de ce petit bout de désert californien pas encore balisé, pas encore hollywoodianisé, un regard qu'aucun drame, même le plus noir, n'a jamais réussi à brouiller. C'est le plus grand cinéaste oriental de l'Ouest américain, peut-être le dernier Américain d'Amérique.

Une fois qu'on a dit ça, on est bien avancé. Pour dire les choses comme elles sont, c'est même là qu'on devrait commencer à ne plus rien comprendre. Si tout ce qui précède est vrai, à savoir qu'il est naturel de célébrer un grand artiste américain avec quarante de ses films, ce n'est vrai que depuis peu de temps. On veut dire par là que célébrer Dwan il y a cinquante ans aurait été impossible. On trouvait plus facilement les copies de ses films, mais on ne les aurait pas montrées. Et si on ne les aurait pas montrées, c'est tout simplement qu'on n'y aurait pas pensé. On n'y aurait pas pensé parce qu'il n'existait pas. Il était vivant mais il n'existait pas. Il tournait encore (il a même signé entre 1950 et 1960 quelques-uns de ses plus beaux films, Surrender, Silver Lode, Slightly Scarlet, The Restless Breed, autant de merveilles ignorées par Locarno), mais personne ne pensait à les trouver beaux. Enfin, presque personne. Il faudra attendre plus de quinze ans pour trouver, du côté des Cahiers du cinéma et surtout du formidable double numéro de Présence du cinéma, Allan Dwan-Jacques Tourneur, paru en 1966, quelques signes d'intérêt, quelques signes d'enthousiasme. Est-ce à dire qu'on était plus bête en 1950 qu'en 2002 ?

A en juger par la vitalité du cinéma de ces années-là, ce serait plutôt le contraire. Alors ? Alors, c'est simple. Il y a cinquante ans, la figure du cinéaste telle que nous la connaissons n'avait pas encore été inventée. Le cinéaste n'existait pas. Il travaillait mais il n'existait pas. Ni son rôle, ni sa fonction n'étaient définis. C'était un nom parmi d'autres sur d'interminables génériques, l'un des rouages anonymes du merveilleux cinéma d'usine des grands studios, lui-même longtemps considéré comme un simple artisanat anonyme et collectif.

Hollywood, une journée de juillet 1963

Le cinéaste n'existait pas. Répéter cette évidence pour s'en convaincre. Oublier cela reviendrait à ne rien comprendre à l'art et la manière du cinéma tel qu'il s'est intensivement pratiqué jusqu'au début des années soixante, avant l'irruption de la télévision et de la critique de cinéma. Epoque innocente où il n'y avait que des films, des stars, des spectateurs. On rêvait, ça prenait assez de temps comme ça. Ce monde du grand cinéma, le cinéma des artistes de l'ombre, des anonymes dont le nom, sous le titre, ne disait rien à personne, ce monde-là n'existe plus. Il n'existait, relisez ça deux fois, c'est difficile à comprendre, pour autant que la figure du cinéaste n'avait pas encore été inventée, pour autant qu'il ne s'avisait pas de ressembler à ce qu'on allait bientôt dire qu'il était. Tant que le cinéaste n'existait pas, le cinéma régnait dans le monde. Le metteur en scène, le réalisateur, c'était juste un employé, un artiste d'usine. Le temps n'était pas venu où on lui tisserait des légendes. Pas encore.

J'ai rencontré Allan Dwan en juillet 1963, à Hollywood. Il allait sur ses 80 ans, mais il était encore vif et enjoué, parlant avec enthousiasme de deux ou trois projets de films qu'il comptait bien réaliser. Il ne savait pas que Most Dangerous Man Alive (1958), l'un de ses films les plus fauchés mais aussi l'un de ses plus beaux, serait son dernier. Encore vingt-cinq ans à vivre, vingt-cinq ans à se laisser tranquillement mourir au soleil, en centenaire paisible. Il a parlé des heures, le vieux Dwan, sa mémoire était étonnante. Détails truculents (une flèche qui se plante dans le derrière d'un spectateur pendant le tournage d'un film muet), anecdotes des années de gloire, les années Suez (avec des superstars comme Tyrone Power et Annabella), belles leçons de morale cinématographique à l'usage des jeunes générations...

L'entretien n'est paru nulle part, la bande magnétique s'est perdue. Toute cette histoire, pourrait-on dire, n'a jamais existé. Comment un cinéaste qui n'existe pas, qui ne sait pas encore qu'il existe en tant que cinéaste, pourrait-il avoir parlé au représentant d'une profession, la critique de cinéma, qui n'existait pas davantage ? Tout ça devait être un rêve, une hallucination. Cette journée avec Dwan en 1963, c'est sûr, je l'avais imaginée. Un jour, pourtant, j'ai retrouvé des photos, des photos de lui. C'est lui, c'est Dwan ! Je le reconnais, ça me revient, je l'avais photographié avec mon appareil à six sous, un Photax. Ce nom-là, je n'aurais pas pu l'inventer. On était dans sa villa modeste à Hollywood, il posait en jeune vieillard bedonnant devant les palmiers. Même les palmiers ne le connaissaient pas. Personne ne le connaissait. C'était un grand cinéaste, un homme tranquille. Deux ou trois cents films au compteur, juste deux ou trois anecdotes à raconter. Mais il fallait insister, hein ! Ce n'était pas un bavard, le vieux Dwan. OEil rieur, parole économe. «Ma vie, mon oeuvre», ce serait pour plus tard.

«J'étais électricien, je tirais les câbles, si vous voulez.»

Et puis tiens, en voilà d'autres, des photos de tournage, je m'en rappelle, il me les avait données. C'est en relisant l'entretien que Dwan a donné un an plus tard au regretté Simon Mizrahi, un entretien sublime de maigreur et de précision (Présence du cinéma, n° 22-23, à rééditer d'urgence), que les mots d'Allan Dwan, ceux de cette merveilleuse après-midi de juillet 1963, se sont mis à revenir, à prendre forme. Ne lisez pas l'entretien romancé de Peter Bogdanovich avec le vieux Dwan (on pourrait titrer «Ma vie, mon oeuvre», tant c'est emphatique et si peu naturel, si peu vrai, si peu dwanien), un entretien paru à l'origine en 1971 (Allan Dwan, The Last Pioneer), et qu'on retrouve dans le livre pompeux édité par Locarno et les Cahiers du cinéma (1). Ce sont des anecdotes réchauffées, sans saveur, répétées pour la énième fois à un groupie trop brûlant du désir de les entendre, et d'entendre celles-là précisément, pour qu'on ne les lui ânonne pas. Les longues confidences de Dwan à Bogdanovich souffrent d'avoir été trop espérées, trop attendues. Avec Mizrahi, Dwan parle simplement, franchement, encore étonné de se voir poser des questions. Il a juste fait son travail pendant cinquante ans, c'est tout. Ford aussi renâclait à répondre. Répondre, ce n'était pas leur travail.

«Vous voulez savoir comment j'ai débuté, c'est ça ?» Filmographie sommaire sur les genoux, j'attends la réponse du vieux maître. Il ressemble à un WC Fields sobre, sortant d'un régime amaigrissant. Rigolo, modeste, pince-sans-rire. «Oui, monsieur Dwan.» Il ménage ses effets, me regardant d'un oeil malicieux. «C'était en 1909 ou en 1910, je ne sais plus exactement. J'étais électricien, je tirais les câbles, si vous voulez. Un jour, le metteur en scène n'est pas venu. Malade ou bourré, je ne me rappelle plus. "Qu'est-ce qu'on fait ?", demandaient les acteurs. "Il faut tourner. On est en retard." Personne ne bougeait. "Qui veut être metteur en scène ?" On se regardait dans les yeux. Le silence se faisait plus épais. C'est là que j'ai levé la main. "Moi." J'ai été pris comme réalisateur. Ça a duré cinquante ans. Ça dure encore.»

(1) Allan Dwan. La légende de l'homme aux mille films, ed. Cahiers du cinéma, en librairie le 23 août, 256 pp.; 25 a.

1963, l'été indien d'Hollywood

LOUIS SKORECKI 27 AOÛT 2003 À 00:43

Cet année-là, Walsh, Hawks et Dwan étaient encore les mousquetaires du cinéma, et Ford était leur d'Artagnan.

Ils étaient quatre, comme toujours. Aux côtés du vieux Walsh encore solide, d'un Hawks de plus en plus serein, d'un Dwan sans âge, Ford jouait les d'Artagnan muets. Comme ils n'étaient pas payés pour parler, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. On était en 1963 et je croyais que le cinéma avait de beaux jours devant lui. Cet été-là, au 8425 Hollywood Boulevard, dans une villa qui avait abrité les amours d'un mousquetaire d'un autre bord, l'espion allemand Errol Flynn, je parlais cinéma avec le «concierge» des lieux, un aventurier du nom d'Axel Madsen, qui avait sa combine pour ne pas payer de loyer , acheter les feuilles de papier au kilo et se nourrir de viande de cheval (un Américain se ferait tuer plutôt que de manger du cheval). Pour infiltrer les projections privées, Madsen avait son idée. Surtout ne pas se présenter comme envoyé spécial de Visages du cinéma (la revue dont j'étais le patron et dont le troisième numéro ne paraîtrait jamais), ou même des Cahiers du cinéma. Dire d'un ton sec et péremptoire qu'on collaborait au «french Sight and Sound», du nom de la prestigieuse revue britannique. Ne pas oublier qu'on est au début des années 60, avant la révolution auteuriste, ce coup d'Etat exporté aux quatre coins du monde par les Cahiers, et que les Américains méprisent encore le cinéma, le leur comme celui des autres.

Rendre visite à Dwan, Lang ou Minnelli, c'était un rêve de gosse. La jungle du cinéma n'était pas encore défrichée, et j'avançais les yeux écarquillés, détournant le regard devant le pantalon largement ouvert du vieux Renoir, retenu par une grosse ficelle, qui laissait voir son ventre généreux. Tourneur disait que Renoir l'invitait souvent à déjeuner sur les collines d'Hollywood. Il n'y avait aucun endroit où on mangeait aussi bien. On parlait de tout, sauf de cinéma. Mieux vaut ne pas parler de cinéma si on veut bien manger. De toute façon, il y a peu de chances que Renoir ait eu la curiosité d'aller voir un film de son ami Tourneur. La seule chose qui rapprochait ces deux Français d'Hollywood, c'était leur père. Auguste Renoir et Maurice Tourneur, ça se valait presque. Pas tout à fait, mais presque.

Il me faudra des années pour comprendre que l'une des expériences de cet été 1963 ­ assister au tournage de A Distant Trumpet, le dernier Walsh et l'un des derniers grands westerns ­ serait la plus belle émotion de cinéma de ma vie. Les deux étés suivants, j'ai rencontré Buster Keaton, Sternberg, McCarey, Ida Lupino, Preminger, Jerry Lewis, Stuart Heisler et quelques autres. J'ai vu tourner Hawks en Arizona, sur les extérieurs d'Eldorado, dans cette merveilleuse ville de cow-boys que chaque nouveau western habillait de couleurs différentes. J'aurais pu rencontrer Ford, mais j'étais trop bête pour comprendre que c'était le plus grand. Il était d'Artagnan et je ne le savais pas. Je ne savais pas non plus que la partie qui se jouait ces étés-là (1963, 1964, 1965) avait bel et bien été perdue depuis six ou sept ans. Qui ne sait pas aujourd'hui que l'automne hollywoodien se situe entre 1955 et 1959, entre la trahison télé de Hitchcock et Rio Bravo, le grand western terminal hawksien ?

Oreille trouée. Au moment de la ressortie des Cheyennes, ces souvenirs de l'automne du vieil Hollywood se pressent dans le désordre. Entre l'amertume du vieux Sternberg, qui passait ses loisirs à sculpter une porte monumentale («pour moi, c'est aussi important qu'un nouveau film»), les rires éteints d'un Buster Keaton asthmatique perdu dans sa ferme de San Fernando Valley, les ricanements de folle tordue de Cukor se moquant autour de sa piscine du «beatnick Nicholas Ray, réduit à faire tourner la vieille strip-teaseuse Gypsy Rose Lee», qu'est-ce qui a le plus d'importance ? Cukor n'oubliait-il pas un peu vite que Gypsy Rose Lee avait été le grand amour de Preminger, ce même Preminger dont Minnelli confiait cet été-là combien il avait admiré le Cardinal, qui allait bientôt être démoli par toute la critique, à Paris comme à Holly wood. Faut-il raconter le pas de deux de McCarey, tirant sur son oreille trouée en essayant de se rappeler comment ça lui était arrivé, pendant qu'un jeune executive chuchotait qu'«on lui laissait un bureau parce qu'il avait fait gagner beaucoup d'argent au studio, mais qu'il ne tournerait plus jamais» ?

Il faudrait pouvoir mimer les directives de Tashlin à Jerry Lewis (pendant que l'acteur jouait au basket sur le plateau), ou celles d'Ida Lupino à ses jeunes comédiens, sur un téléfilm oublié. Comment décrire la jalousie de Stuart Heisler, qui ne pensait qu'à quitter le plus vite possible l'interview pour aller baiser sa jeune femme dans la chambre à côté ? Comment expliquer à de jeunes cinéphiles qui n'ont jamais connu le merveilleux cinéma d'usine, la terreur d'Edward Ludwig, réalisateur préféré de John Wayne, réduit à demander au jeune chef de studio d'Allied Artists la «permission» de donner, pour la première et dernière fois de sa vie, une interview de cinéaste ?

Rires tonitruants. Et si on se concentrait sur les trois mousquetaires du cinéma hollywoodien, Allan Dwan, Howard Hawks, Raoul Walsh, sans oublier leur merveilleux d'Artagnan, John Ford ? Pas facile d'oublier les rires tonitruants de Dwan (1885-1981), qui avait presque 80 ans à l'époque, quand il racontait comment une flèche s'était plantée dans le postérieur d'un passant pendant le tournage de son Robin des Bois muet. Le plus extraordinaire, dans ses souvenirs très précis, c'était son entrée en cinéma, ce passage du statut d'électricien (de câbliste, plutôt) à celui de metteur en scène, une fonction qui ne valait pas mieux que celle de contremaître. Insister sur cette fonction inaugurale du cinéaste, réduit au rôle de surveillant général.

Celui qui parlait le plus, c'était Hawks (1896-1977). Sur Eldorado, son avant-dernier film, il ressemblait lui aussi à un simple contremaître. Et si rien n'avait changé en cinquante ans, entre 1915, quand Dwan était devenu cinéaste par hasard, et 1965, quand Hawks tournait cette suite pas très réussie de Rio Bravo, second volet d'une trilogie dont le troisième, Rio Lobo, allait être plus mauvais encore ? Perché sur sa grue, H.H. semblait endormi, veillant les yeux mi-clos, sous un improbable Stetson de paille, à la simple bonne marche des opérations. Il me faudra des années pour comprendre que c'est cela, et rien d'autre, le métier de cinéaste. Cet été-là, Robert Mitchum et John Wayne se montraient avec moi d'une simplicité, d'une générosité, d'une ouverture d'esprit que je n'aurais jamais imaginées. Ces deux-là étaient tellement dissemblables et tellement identiques. Dans leur façon de travailler, aucune différence. Les grands acteurs travaillent toujours pareil, ce sont des machines célibataires, de belles machines à jouer. Pourquoi le cinéaste, n'importe quel cinéaste, leur donnerait-il une indication, n'importe quelle indication ? Hawks n'avait pas encore appris à dire qu'il «filmait à hauteur d'homme», ou que son thème favori «c'était l'amitié virile». Dans quelques mois, pas plus, il s'y mettrait. Ce ne serait plus l'automne hollywoodien, ce serait l'hiver.

Voir Raoul Walsh (1887-1980) travailler sur son dernier film, A Distant Trumpet, c'était pareil et différent à la fois. Il ne donnait pas plus d'indications à Troy Donahue que Hawks n'en donnait à son jeune protégé, James Caan. Un oeil bouché par un méchant bout de coton, il regardait de l'autre les protagonistes de ce western désenchanté, consacré, comme les Cheyennes, aux dernières guerres indiennes. Sur fond d'amour, de jalousie, de désir (le seul sujet walshien), il s'intéresse pour la première et dernière fois à un simple Peau-Rouge dégingandé, un personnage presque déplacé chez lui, qui serait plus à l'aise dans les décors picaresques de la Captive aux yeux clairs (Hawks, 1952). «Regardez cet Indien, ne cessait de répéter Walsh, vous ne trouvez pas qu'il est extraordinaire ?» Dans le film terminé, l'Indien est juste une apparition, une voix qui avertit avec véhémence que d'autres temps se préparent. C'est la fin d'une époque, la fin d'un certain cinéma. Dans l'ombre de Walsh, un autre aventurier, le grand chef-opérateur William Clothier. Il avait quelques beaux Ford derrière lui (Donovan's Reef, l'Homme qui tua Liberty Valance, les Cheyennes). Il ferait bientôt le dernier Hawks, Rio Lobo.

Enigme. C'est sur le tard que Ford (1895-1973) signe ses trois plus beaux films : Seven Women (1966), qui serait encore plus émouvant si Patricia Neal n'avait été remplacée au pied levé par Anne Bancroft, et Young Cassidy, ce film que le cinéaste s'était permis deux ans plus tôt de ne pas signer, et même de ne pas tourner. Au bout d'une semaine, malade, il laissait la place à Jack Cardiff. Pourquoi cette autobiographie du jeune Sean O'Casey, le plus grand écrivain irlandais, est-elle aussi fordienne, aussi bouleversante ? La signature d'un film, cet acte par lequel un réalisateur s'en attribue la paternité aux yeux du monde, reste un mystère. Aujourd'hui que l'hiver glacial du cinéma a succédé à son automne tardif, qui se soucie de ce genre d'énigme ?

Et si le dernier vrai film de John Ford était The Colter Craven Story, 122e épisode de la célèbre série télé Wagon Train, que Ford réalise en 1960 pour faire plaisir à son vieil ami et acteur fétiche, Ward Bond ? Il y retrouve les comédiens familiers de sa troupe, Carleton Young, Ken Curtis, Hank Worden, John Carradine, et même Mae Marsh, rescapée des plus beaux Griffith (Naissance d'une nation) et des plus beaux Ford (les Raisins de la colère, Wings of Eagle, les Deux cavaliers, les Cheyennes). Dans le rôle du général Sherman, l'ami John Wayne fait une dernière apparition. Personne ne pleure. Il est trop tard pour pleurer. Ward Bond meurt quelques mois plus tard. Après sept ans sans tourner, Ford meurt lui aussi, le 31 août 1973. Il n'était plus là depuis longtemps.

SKORECKI Louis

L'Argent de la vieille.

SKORECKI Louis

Cinécinéma classic, 13 heures.

Le vinyle noir est rayé, il tourne en boucle. «C'était mon ami, c'était mon copain», répète à l'infini l'ami Bécaud. On pense irrésistiblement à un autre ami, Simon Mizrahi. Sans lui, on ne connaîtrait ni Luigi Comencini, ni Mahmoud Zemmouri, ni Mohamed Khan, ni Dino Risi. Tout le cinéma italien des années 70 et 80 n'aurait pas existé sans lui. Il était mort, il l'a ressuscité à lui seul. Comment un seul homme peut-il ressusciter le cinéma d'un pays ? A force de travail et d'amour, bien sûr. Ce que Paulo Branco à fait à lui seul pour le cinéma portugais, Simon Mizrahi l'a fait pour le cinéma italien.

Simon Mizrahi était attaché de presse. L'un des premiers, l'un des meilleurs. L'un de ceux qui ont inventé le métier. Avant d'être attaché de presse, c'était un critique de cinéma, fin connaisseur des petits maîtres américains. Avec Jacques Lourcelles, Michel Mourlet, Pierre Rissient, il collaborait dans les années 60 à Présence du cinéma, l'une des revues qui ont littéralement inventé la cinéphilie. Dès 1963, Simon Mizrahi allait débusquer dans leur repaire hollywoodien des géants comme Allan Dwan ou Jacques Tourneur. Je l'ai souvent croisé à cette époque. Le petit jeu entre nous, c'était à qui mettrait la main le premier sur Samuel Fuller, Jacques Tourneur, Douglas Sirk. Il m'a souvent battu. On en riait des années plus tard. Revoir l'Argent de la vieille (ou les Folles Années du twist de Zemmouri), c'est retrouver la vigueur et la vie que Simon Mizrahi y instillait, directement ou indirectement. L'Argent de la vieille est une parabole politique, la lutte d'un bidonville entier contre une richissime Américaine (Bette Davis). A ce jeu dérisoire et inégal, qui gagnera, le pauvre Alberto Sordi ou la vieille Bette Davis ? Silvana Mangano deviendra-t-elle une princesse ? Une petite fille mettra fin au jeu avec la cruauté d'un ange. Chez Comencini, seuls les enfants sont gagnants.

sábado, 22 de agosto de 2015

New York 1997. Ciné Cinémas I, 20h30.

15/09/1999 à 00h43

SKORECKI Louis

Dans un ciné-monde où le décoratif tient le plus souvent lieu de sujet, que faire de ces cinéastes ultra-maniéristes, John Carpenter aujourd'hui, Paul Verhoeven mercredi prochain, qui vont encore plus loin en faisant du décor une obsession, un thème, presque une mythologie? Dans New York 1997 comme dans la plupart de ses navets séduisants, Carpenter revient sur le passé du cinéma hollywoodien à la manière de quelques-uns de ses grands aînés pasticheurs, Sergio Leone ou Clint Eastwood pour prendre les plus visibles. Revisiter les grandes peurs de l'Amérique (the Thing), comme ses plus belles légendes (Elvis, the Movie), cela fait toujours son effet à condition de ne pas en abuser, précisément, des effets, ces poses ripolinées dont Carpenter ne se prive pas. Si New York 1997 se regarde pourtant avec plaisir, c'est qu'il prend ouvertement son pied à singer Jack Arnold ou Roger Corman, en faisant comme si la série B existait toujours. Ce sens du remake ringard, de l'emphase revendiquée, passent ici par quelques-unes des plus belles gueules de la culture déviante contemporaine (Harry Dean Stanton, Donald Pleasence, Isaac Hayes), emmenées par l'acteur caméléon/fétiche de John Carpenter, Kurt Russell, impeccable en outlaw borgne, viré héros aldrichien. Futurisme glauque, polar-péplum, suspense archaïque, tout respire le mélange des genres, pour le meilleur et pour le pire. La recette de Carpenter s'écoute plus encore dans les musiques qu'il bricole qu'elle ne se voit dans sa mise en scène. Rock minimal, vaguement répétitif, vaguement électronique, à l'image d'un art du maquillage volontairement pauvre, comme une version disco des westerns de Howard Hawks, un sampling optique de quelques thrillers speedés de Don Siegel, une approximation baveuse des plus beaux Huston. Dans le meilleur cas (Invasion Los Angeles), il peut même rendre crédible, l'espace de quelques séquences joliment paranoïaques, filmées à la six-quatre-deux avec trois fois rien, l'hypothèse siegelienne d'une vampirisation de la population par des body snatchers à la solde de la pire société de surveillance et de consommation.

segunda-feira, 15 de junho de 2015

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