segunda-feira, 24 de setembro de 2007

Le Christ recrucifié

Ce film noir, presque atroce, d’Enzo Castellari, qualifié à tort de western-spaghetti, est une parabole exemplaire du juste, un hymne à la souffrance. L’ultime coup du cinéaste et du cinéma italien aussi.

Un homme seul, désespéré. Dans un village de boue, de pluie et de sang que la peste ravage, hostile, irrémédiablement. Keoma, l’Indien, est privé désormais de ses trop faibles appuis : un musicien noir, un vieux père adoptif, une femme qui attend un enfant. Tous trois ont péri ou vont disparaître. Tel est le thème de Keoma, exemplaire parabole du juste que vont – à la lettre – crucifier ses frères et dont l’univers, depuis qu’il est né, n’est fait que de souffrances, de haine et d’humiliation. De solitude aussi. Car, pour lui, « bien peu de choses comptent sur cette terre » et « le monde n’est que pourriture ». Film noir, atroce, hymne tout entier à la souffrance. C’est ainsi que s’achève, en 1975, l’ère du western italien. Elle n’aura duré qu’une petite décennie.

Ce western, on l’a très vite et grotesquement qualifié de western-spaghetti (choucroute ou paella, pour ses cousins germaniques ou ibères), voulant moins lui donner par là une tonalité nationale, par le biais de la gastronomie (a-t-on jamais parlé de western-hamburger ?) qu’indiquer, inconsciemment, nous semble-t-il, qu’il s’agissait d’un objet de consommation, dépourvu de tout arrière plan idéologique, historique, esthétique. On a fait depuis lisière de ces a priori (1). On a montré la force de l’idéologie qui sous-tend la plupart de ces films, les références historiques qui les parsèment et l’esthétique si particulière qui les engendre, inspirée du baroque et de l’enflure. Si bien que si western-bouffe il y a, c’est au sens que l’on doit donner au terme dans « opéra-bouffe ».

Pourtant Keoma nous entraîne bien plus loin. Chant du cygne du western, ultime coup d’éclat d’un cinéaste sans génie – mais non sans talent -, Enzo G. Castellari (en fait Enzo Girolami, fils du réalisateur Marino Girolami), auteur d’une transposition du Hamlet de Shakespeare dans le cadre du western (Quella sporca storia nel West, 1968). C’est un film qui nous rappelle, bien tardivement, une constante du genre, dépouillé de ses arlequinades : son premier mythe reste le Christ.

Que de Passions revécues, en effet, dans cet univers de la violence donnée et subie où le héros est, tour à tour, mourant de soif en plein désert (le Bon, la Brute et le Truand, Sergio Leone, 1966), enterré vif sous le soleil de plomb (La mort était au rendez-vous, Guilio Petroni, 1967), fouetté (Texas addio, Ferdinando Baldi, 1966). Où il a les mains broyées (Django, Sergio Corbucci, 1966), les cordes vocales tranchées (Le Grand Silence, du même, 1968). On ira jusqu’à le crucifier (Yankee, Tinto Brass, 1967 ; Blindman, le justicier aveugle, Ferdinando Baldi, 1971 ; et, enfin, Keoma).

Ce Christ recrucifié, mutilé, humilié, se doit de souffrir pour que la vengeance s’accomplisse, la sienne et celle de tous les opprimés, les innocents que la mort a frappés : villageois asservis, femmes meurtries, Noirs, métis ou indiens soumis à l’esclavage et à la violence aveugle. On comprend mieux, dès lors ce cérémonial sanglant qu’est le western italien, ce rituel de la souffrance qui le fait ressembler à certaines cérémonies païennes comme le culte d’Attis ou celui de Cybèle, voire celui de Baal-Moloch.

La Bible y est omniprésente. Depuis la première séquence de Pour quelques dollars de plus (Sergio Leone, 1965), où le chasseur de primes à l’allure de pasteur tient une Bible à la main, jusqu’à cette même Bible sur laquelle se venge Requiescant (Requiescant, Carlos Lizzani, 1967), au nom symbolique, tout comme celui du héros de Una lunga fila di croci (Sergio Garrone, 1969) : « Bibbia », (Bible). Il n’est que souffrance dans Keoma, mais une souffrance nécessaire : le monde est injuste, cruel, nous dit le film, seul un nouveau Messie pourrait le racheter. Mais si Keoma est, lui aussi, brimé, frappé, mutilé par ses frères, s’il cherche son père, s’il vient en aide aux faibles et aux oppromés, il n’y a en lui nul désir de pardon, nulle paix, nul espoir. La mort est sur ce chemin de croix. Pour les autres, amis et ennemis, certes, mais surtout pour lui qui s’en va, abandonnant la seule lueur d’espérance de ce monde perdu : un enfant – dont la naissance a causé la mort de sa mère.

N’est ce pas l’ultime preuve que le mal gagne quand même et que la solitude est au bout de tout chemin ? « Personne n’a besoin de personne sur cette terre ! » Ce sont les ultimes paroles de Keoma. Elles sonnent aussi le glas du western italien, qui va céder la place au film d’horreur, au « gore », à la violence outrageusement mise à nu, comme pour l’exorciser. Ultime vomitorium après une trop grosse platée de spaghetti.

Claude Aziza

(1) Voir, entre autres, les suppléments Radio-télévision datés 21-22 juin et 11-12 octobre 1987. Aucune réflexion sur le western italien ne peut se passer de la remarquable trilogie de Gian Lhassa, Seul au monde dans le western italien, éd. Grand Angle, 1983-1987.

« ... Quant à « Match Point ». À part la police de caractères des cartons du générique und un embryon de voix off aux premières secondes, j'maintiens que l'auteur fatigué W. Allen est presque indécelable, que ce film déchirant et magnifique peut être envisagé tout seul, in itself, et qu'en dernier recours only il est loisible de forcer l'auteurisme thématique, y discernant (forcément !) une culpabilité obsédante. Et là, tour d'écrou qui laisse pantelant, le châtiment tout contemporain : l'impunité. (Well. No spoiler tant que Tlön n'aura pas vu. NB : le film n'est pas Jamesien, mais on y pense.)

Un instant, the scene des remontrances émêchées de la mère à Scarlett Johansson, j'ai craint cette acidité facile à l'épinglage des personnages. Mais non. La scène, par sa simple durée, un peu trop longue (selon l'efficacité dramatique lambda), et une phrase du père sur le verre de trop, in brief ce temps laissé à la gêne qui se dégonfle, accablée, désamorce justement l'accablement méchant de la peinture de classe. La cruauté, plus sourde et plus étale, plus instillée, peut commencer.

Aucun dégoût. Le jeu des trois acteurs principaux, their way de faire corps avec leur personnage, sans distance that is to say sans jugement de leur condition (ingrate), retire toute complaisance au film, sans faire l'économie de son épaisseur sordide, vraiment noire. Ce que fait for instance Emily Mortimer, découverte à tomber, juste avec son petit sac à main et sa façon de se tenir (la scène du musée, par ex.), sans fierté ni bêtise, is just great. L'intelligence du film, entre autres, est là, dans cette capacité à conter une histoire très conventionnelle, une énième fois, en la prenant très au sérieux et furthermore : au tragique. En la rétablissant dans ce qu'elle a précisément, cette histoire-ci, d'unique (et de fatal). Le personnage de Chris s'est rêvé en héros romantique et se réveille minable, en pleine convention « bourgeoise ». En jouant la répétition de son livre de chevet, therefore se lançant obscurément un peu plus loin, mais this time avec le fracas d'un romanesque volontaire, dans sa chute (à moins qu'il n'ait pas lu « Crime et Châtiment » jusqu'au bout, that's possible), « le petit héros » échoue encore. Succeeding.

There lies la tragédie nouvelle, par convention, et la surprenante originalité du film. Reprenant si l'on veut l'exergue dostoïevskien « Si Dieu n'existe pas, tout est permis », « Match Point » fait la démonstration noire que dans le monde d'aujourd'hui la principale et la subordonnée se sont inversées. Et que si tout est permis… (très belle scène des fantômes in the kitchen).

C'est un film romanesque désuet et violemment contemporain.

La mise en scène est souveraine, d'une grâce simple et d'une économie souple incroyables. I won't give details here, c'est déjà fort long. Juste alors, ces glissements sur les visages, ce tempo étonnament « pile » dans les recadrages, dans la loge à l'opéra, or la question d'Emily Mortimer assise sur le sofa à Jonathan Rhys-Meyers (la gaucherie de l'acteur suits perfectly le personnage) qui hésite et ment, then le retour (là où tout le monde aurait coupé net) sur le visage de l'actrice… And so on.

I didn't quote Preminger par hasard. Let's say, par exemple, « Fallen Angel ». And : combien de films magnifiques ont pour figures principales des crapules or… des cyniques ? (Dana Andrews chez Lang or Preminger sometimes.)
»

sexta-feira, 14 de setembro de 2007

Selon vous, est-ce qu'un "cinéaste" se définit d'abord comme quelqu'un qui considère le cinéma comme un art du temps et de la durée ?

Il y a très peu de films dans lesquels l'art du temps s'exerce. Il ne peut y avoir art du temps que s'il y a art de l'espace. Les seuls qui ont vraiment le sentiment du temps, c'est les Straub. Mais le sentiment du temps peut être produit par-delà la durée des plans. Dans mes films, je pense qu'il y a le sentiment du temps, mais il n'est produit ni par le dispositif des plans ni par leur durée. Je ne sais pas ce qui le produit. Alors que chez les Straub, le sentiment du temps est produit par le rapport entre la durée des plans et l'espace. On retrouve un peu ça chez Kiarostami, mais moins nettement que chez les Straub. Alors que chez Hou Hsiao-hsien, l'espace joue plus que le temps, même si les plans durent très longtemps. C'est d'abord de l'exploration spatiale qui n'embraye pas sur du temps. La tenue du plan long ne garantit pas forcément le sentiment du temps. Chez Garrel, il y a le sentiment du temps à l'intérieur du plan mais pas en dehors.

Si vous revendiquez ce droit à la durée et à la flânerie, comment tolérez-vous une époque où il faut sans cesse s'afficher et afficher son style pour avoir le droit d'exister ?

Il faut faire les choses selon sa nature. Très nourri des Grecs et des Latins, je considère qu'il y a les choses qui dépendent de nous et les choses qui ne dépendent pas de nous. Quand on a compris son mode de fonctionnement, il faut s'y soumettre. Moi, je sais que je gagnerai toujours à ce que les choses mûrissent. Si je ne parviens pas à faire un film, ce n'est pas perdu, ça viendra nourrir le film d'après. En fait, je suis très fataliste, il y a toujours de la perte et du gain, même dans les situations les plus terribles, et ça fait partie de l'émerveillement de la vie. Je suis frappé par les contradictions chez les gens, ce qui permet d'inscrire du relatif partout, d'avoir de la distance avec ce qu'on vit soi-même et de ne pas prendre tout au tragique. Sur la question de l'époque, je ne me pose jamais la question. Je fais mes films avec la conscience du présent mais en tant qu'un ensemble de phénomènes de la réalité. A l'intérieur d'une séquence ou d'un film, j'ai envie de mélanger des éléments hétérogènes, sinon hétéroclites, et j'aurais l'impression d'appauvrir la charge de réalité si j'injectais des effets de mode ­ ça m'est impossible.

Tendez-vous vers une invisibilité de la mise en scène, alors que votre manière de diriger les acteurs est unique ?

Pour beaucoup de gens, la mise en scène doit être visible. Si elle ne l'est pas, elle est alors assimilable au tout-venant de la production, c'est le grand malentendu. Mais c'est vrai que ma direction d'acteurs et l'inflexion des phrases ne ressemblent à personne. Et je pense que les gens, spectateurs, critiques ou cinéastes, sont souvent complètement aveugles sur la direction d'acteurs. Alors que pour moi, tout est là. De ce point de vue, Renoir est le cinéaste auquel je donne tout le temps raison. "Tout le monde a ses raisons", même et surtout Renoir ! La direction d'acteurs, c'est-à-dire le sentiment de vérité des êtres filmés, c'est le critère de vérité du cinéma. Or la plupart des cinéastes n'ont pas ce souci de la vérité des êtres filmés. Alors que pour moi, le cinéma, c'est principalement ça. Les films des Straub sont exceptionnels à cause de ça : non parce qu'ils font des plans longs ou implacables, mais parce que les acteurs véhiculent des effets de vérité qui découlent d'une conversion de la direction d'acteurs vers une recherche de la vérité des êtres humains. Dans mes films, les gens peuvent être déçus de ne pas retrouver la technique habituelle de leurs chers acteurs, parce que je ne respecte pas les codes du moment et le ronron habituel. Chez moi, le poids des gens à filmer est plus fort que tout, plus fort que le désir de combiner des genres. Dans Trois ponts..., j'ai coupé des scènes qui étaient trop rocambolesques, trop feuilletonesques, et qui me faisaient perdre la réalité.

Dans votre mise en scène, vous cultivez aussi l'aléatoire et l'accidentel ?

La dimension documentaire des films m'intéresse beaucoup. J'aime bien saisir des choses qui viennent de la réalité à l'intérieur d'un plan. Mais il n'y a aucune prétention à vouloir montrer de "l'arraché" à la réalité. Dans le recueil de mes chroniques des Cahiers, Poétique des auteurs (Cahiers du cinéma, 1988), il y a un article que j'ai intitulé Le Papillon de Griffith, à propos du Rayon vert de Rohmer. C'est un cinéma dans lequel le passage d'un papillon dans un plan appartient à la nature du plan et renforce l'impression de réalité. Beaucoup de cinéastes attendraient que le papillon passe pour faire jouer les acteurs, parce qu'ils considèrent que le papillon distrairait le spectateur de l'action dramatique. Alors que chez Rohmer, tout demande que le plan soit habité par les choses de la réalité. Chez Resnais, Sternberg ou Visconti, un papillon ne peut pas passer. Chez Kubrick non plus, interdit de papillon ! Chez les Straub, Ford, Walsh, Naruse ou Rivette, le papillon peut passer. Le papillon ne peut passer que chez les cinéastes où il y a de la contemplation du monde.

---

Biette, aqui.

terça-feira, 21 de agosto de 2007

JEU 23, 20:30 - TV5

TROIS PLACES POUR LE 26

Année : 1988

Durée : 98 mn



segunda-feira, 20 de agosto de 2007

domingo, 12 de agosto de 2007

Situação do cinema italiano



Em 1981, já era esse o estado das coisas.

sexta-feira, 10 de agosto de 2007

N'a_film_by

But who is keeping the Webb/Hitchcock/Minnelli line of mise en scene alive?, pergunta o Bill Khron.

Vai uma lista aqui, focando mais ou menos nos últimos 20 anos (ok, um pouco mais, um pouco menos de 20 anos dependendo de cada caso). Não está numa ordem de preferência pessoal, mas do que julgo ser a importância da contribuição de cada cineasta ao campo da mise en scène (embora haja aí uma coincidência: os dois primeiros desta lista seriam os dois primeiros de uma lista pessoal, e estariam tão bem colocados nessa lista pessoal porque são os melhores colocados nesta).

A lista:

Michael Cimino, Jean-Claude Brisseau, Claude Chabrol, Gérard Blain, Paul Newman, Paul Verhoeven, Jean-Claude Rousseau (tenho que ver seus outros filmes, mas a se julgar por Venise n'existe pas, sim - explicação abaixo), John Flynn, Brian De Palma (principalmente a partir de Carlito's Way), Robert Mulligan, Manoel de Oliveira, Michael Mann, Alain Resnais (Amores Parisienses, Mélo, Coeurs), Edward Yang, Jacques Rivette, Paul Vecchiali (Change pas de main, En haut des marches, Once More), John Carpenter (principalmente The Thing e Prince of Darkness), Eugène Green, Éric Rohmer, Blake Edwards, Raoul Ruiz, Dario Argento (principalmente por La sindrome di Stendhal), Youssef Chahine, Jean-Claude Guiguet, Jean-Marie Straub e Danièle Huillet (Klassenverhältnisse e principalmente Von heute auf morgen), Víctor Erice, Hou Hsiao-hsien, John Milius (Rough Riders), Maurice Pialat (o Visconti dos dias de hoje - a noite de Sous le soleil de Satan, e principalmente Van Gogh), James Gray (Little Odessa, The Yards), Chantal Akerman (La captive, digna de Duras e Oliveira), Pedro Costa (No Quarto da Vanda, para complicar um pouco as coisas), Catherine Breillat, Jerzy Skolimowski (até The Lightship), John McTiernan, Jean-Pierre Mocky, Alain Guiraudie (Ce vieux rêve qui bouge), Otar Iosseliani, Monte Hellman, Takeshi Kitano (Violent Cop, Sonatine), Luc Moullet (Les sièges de l'Alcazar, Les naufragés de la D17), Clint Eastwood (A Perfect World, Absolute Power), George Romero (principalmente por Land of the Dead), Yousry Nasrallah, James B. Harris, Leos Carax (Pola X), John Sayles, Hector Babenco, Vincent Gallo (por The Brown Bunny, e para complicar mais ainda após as inclusões de Rousseau e Costa), Mario Monicelli, Jonathan Mostow, Joe Dante (The Second Civil War), Terence Davies, Sidney Lumet (Running on Empty, Q & A), John Landis (Oscar, Innocent Blood), David Cronenberg (principalmente, e talvez unicamente, por Crash), Jane Campion (Sweetie, An Angel at My Table, The Portrait of a Lady), Larry Cohen, Bertrand Tavernier (L.627, L'appât), Woody Allen (Anything Else, Match Point), Michele Soavi, M. Night Shyamalan (Unbreakable, Signs)...

(...) Much of RAGING BULL gives the viewer the impression that what we see would be happening anyway, even if the camera were not there to record it. This is clearly not the case with PETE KELLY'S BLUES or the works of Minnelli, Hitchcock, etc., in which everything has clearly been arranged for the camera's benefit.

quarta-feira, 8 de agosto de 2007

BERGMAN FILMAVA ALMA DE PERSONAGENS

(...) Bergman foi um dos grandes do cinema moderno: ver seu trabalho, uma última vez, é um direito que devia ser dado a todo espectador.

sexta-feira, 3 de agosto de 2007

Que outro filme oferece como prova este símbolo, denso e assombroso, de que as coisas gravitam?

terça-feira, 31 de julho de 2007

Trop modeste !

par Jacques Lourcelles

Qu’une revue savante comme 1895 s’intéresse au grand artisan que fut Christian-Jaque et qu’une quinzaine de chercheurs, de générations différentes, reconstitue le parcours de cet homme actif et peu loquace n’est enfin que justice. Christian-Jaque a peu parlé, c’est-à-dire a peu cherché à se donner de l’importance par la parole. L’important pour lui, c’était ses films, la continuité de sa carrière où il a démontré, en plus de cinquante ans, une énergie et une santé peu communes. On voit cependant, notamment grâce à Rémy Pithon et Jean-Pierre Bertin-Maghit, qu’interrogé avec précision et intérêt, il ne répugnait pas à commenter son œuvre, mais sans jamais s’attacher à se mettre en valeur.

De 1930 à 1960, Christian-Jaque est un pilier fondamental du cinéma français, le moins étudié sans doute jusqu’ici, mais sans lequel la connaissance de ce cinéma serait gravement incomplète. Le maître mot de son œuvre est éclectisme, une autre façon de se cacher derrière ses films (les cinéastes les plus éclectiques sont en général les plus longs à se faire reconnaître à leur juste valeur) : éclectisme au cours des différentes périodes de son œuvre, éclectisme à l’intérieur de chacune d’entre elles. Quel genre de films en effet n’a-t-il pas illustré : outre ses nombreux vaudevilles, la fresque historique, la comédie et le drame de mœurs, le récit onirique et semi-fantastique, le film biographique et hagiographique, la fantaisie historico-érotique, le film à sketches et de multiples adaptations littéraires ? On irait plus vite à énumérer ceux qu’il n’a pas traités !

Formé par le journalisme, la décoration, l’assistanat, il s’illustre d’abord par une incroyable série de vaudevilles, comédies lestes et burlesques, qui frappent par leurs aspérités, leurs inégalités volontaires ou non (mélange de nonchalance dans la conduite du récit et de précision dans la recherche de certains effets de surprise et de comique), et surtout par leur très grande audace de situation et de texte (voir par exemple la Maison d’en face). La fin des années trente et la période de l’Occupation révèlent chez lui une ambition accrue, la découverte de ses véritables thèmes et ce qu’on pourrait appeler un lyrisme plastique exprimant parfois la gravité secrète de certains êtres tourmentés (cf. Sortilèges). Associé ou non à l’œuvre, qui lui est fraternelle, de Pierre Véry, l’esprit d’enfance, lié chez ce jouisseur gai, faussement roublard, à une sorte d’ingénuité foncière, va rendre ses films de plus en plus attachants. Cet esprit ne se limite pas à la description d’un âge de la vie mais est une caractéristique diversement répartie selon les êtres et qui, chez certains, ne les quitte jamais, comme on le voit dans le charmant et méconnu Premier bal. C’est grâce à son ingénuité profonde, cachée sous son habileté et sous sa verve, que Christian-Jaque a pu, je crois, si bien tirer de Fernandel l’essentiel de sa personnalité de base: inventivité burlesque délirante et inépuisable, chaleur humaine, puissance illimitée de sympathie. À partir de là, d’autres cinéastes ont pu se risquer, avec ce grand acteur, à des contre-emplois, à des audaces insolites qui eussent été, sans l’apport de Christian-Jaque, à peu près impensables.

L’œuvre de Christian-Jaque est jalonnée de titres glorieux qui, selon la formule consacrée, auraient mérité d’être anonymes, tant ils ont adhéré de manière immédiate, puis peu à peu permanente et finalement intemporelle, aux goûts instinctifs du public: François 1er où le cinéma est utilisé, autant dans le registre comique que dans le registre fantastique, comme machine à remonter le temps, les Disparus de Saint-Agil, épopée universelle des curiosités de l’enfance, Fanfan la Tulipe, avec cette habileté rare à harmoniser dans le même récit aventureux personnages sympathiques et inquiétants, caricatures fantaisistes et ridicules, innocents et monstres froids. Une grande part du talent de Christian-Jaque venait aussi du fait qu’il considérait avec le même respect et la même acuité du regard une silhouette passant brièvement dans une scène, un second rôle bien rodé et solide ou une vedette d’immense renom. Secret presque intégralement perdu de ce cinéma français des années trente-soixante.

On n’oubliera pas non plus que dans le film biographique (la Symphonie fantastique, D’homme à hommes), où il a connu des triomphes, il a fait entendre une discrète mais vibrante note humaniste, à la limite de l’utopie, qu’on relèvera, pour la dernière fois, dans ce qui est sans doute son dernier film vraiment personnel, Si tous les gars du monde...

Beaucoup, presque tout, reste à dire sur ce cinéaste plus complexe dans sa diversité qu’il n’y paraît au premier abord et cet ensemble de textes ne se veut rien de plus qu’une étape entre le travail pionnier de Raymond Chirat et Olivier Barrot dans Travelling en 1976[1] et la vaste biographie critique qui, espérons-le, sera entreprise un jour par un exégète.

J’ajouterai une dernière remarque. À Éric Leguèbe qui lui demandait pourquoi il maintenait une « cadence ininterrompue de tournage », il répondit: « Il faut être là. Je sais que je pourrais m’arrêter un an ou deux mais alors je ne reviendrai jamais et je ne tournerai jamais plus. »[2] Cette réponse, pleine de sens, montre que chez certains cinéastes (comme Allan Dwan, aux États-Unis, dont l’œuvre, sauf sur ce point, ne saurait évidemment être comparée à la sienne) la prolixité est une condition sine qua non de la création. Les moins bons films sont nécessaires, d’une certaine façon, à l’élaboration des meilleurs. L’œuvre est un tout continu à l’intérieur duquel c’est au critique, non au créateur, de créer des hiérarchies, d’analyser des courants. C’était là la dernière modestie de Christian-Jaque, et non la moindre.

En résumé, Christian-Jaque possédait les caractéristiques principales qui font, au cinéma, les méconnus: la modestie, l’éclectisme, la prolixité. Puisse cet ouvrage contribuer à le remettre un peu à la place qu’il mérite, tant sur le plan historique qu’esthétique.

1. Sans oublier le chapitre très novateur pour l’époque de l’excellent livre de Pierre Leprohon, Présence contemporaines. Cinéma, Paris, Debresse, 1957.
2. Éric Leguèbe, Confessions: un siècle de cinéma français par ceux qui l’ont fait, Paris, Ifrane, 1995, 2 vol.

"J'ai mis en suspens ma série de films cyniques" (BDP, Cahiers du cinéma n° 546, maio 2000)

sexta-feira, 13 de julho de 2007

Lise, ma petite Lise



Sangue Ruim é um filme que ama o cinema, mas que não ama o cinema de hoje. - Leos Carax, 1986

terça-feira, 10 de julho de 2007

It flows on like a river




(subentendido o risco permanente de enchentes e inundações)

Marienbad introduced to a generation of filmgoers the idea of the film as a self-contained world where past, present, real and imaginary images coexist without reference to external reality. Like the great films of Italian neorealism, Marienbad fractured the flow of narrative images with a musical gamut of discontinuities that freed film from the conventions of action/reaction, seeing/seen, perception/emotion that governed classical cinema, substituting for a 'common reality' entirely composed of cliches a mental world like the one we inhabit every day. Turning Bertolt Brecht's 'estrangement effect' into a source of pleasure, as surrealists like Tex Avery had done in their seven-minute cartoons, the film's feats of cinematic legerdemain - vanishing characters, characters who appear to be in two places at once, changing backgrounds and games with sound and image, like the uncanny moment when the stage actor's lips begin to move in time with X's voiceover - revolutionized the relationship of audiences to cinema.

In addition, that revolution transformed the once largely unconscious activity of interpreting films by inviting the spectator to attach multiple and contradictory meanings to the film's action and characters. Here are a few: 1) X is lying, trying to seduce A by describing an affair that never happened. 2) X is telling the truth, and A is in denial. (These two opposed interpretations were trotted out for the press as the conflicting views of Robbe-Grillet and Resnais respectively, a marketing device with a praiseworthy didactic intent.) 3) X and A are puppets controlled by the masochistic M. 4) As in a Breton legend Resnais knew from childhood, X is Death, come to claim A after granting her a year's reprieve. 5) A is ill, and the hotel is a sanatorium. 6) X is Orpheus, come to bring Eurydice back from the land of the dead, where the cadaverous M is king. 7) The three leads are figures in the dream of a woman struggling to liberate herself: A symbolizes the ego, X the Id, M the superego. 8) X is the only real person in a castle filled with phantoms like those in Alfredo Bioy-Casares' La invention de Morel - three-dimensional images mechanically repeating actions that are registered once and for all, like the images of a film. The question of conflicting interpretations is raised within the film by the enigmatic sculpture, which like the film itself has no referent in reality: Resnais had the sculpture made to match Robbe-Grillet's description, suggesting that the sculptor model it on minor characters in a painting by Poussin.

Marienbad nonetheless tells a story with a beginning, middle and end: A does leave the hotel with X. For Robbe-Grillet, who sees any film as a succession of present moments with no past or future, Marienbad tells the story of all his novels, an attempt to 'make an annoying void disappear.' 'What happens is just the opposite,' he told Andre S. Labarthe and Jacques Rivette in 1961. 'The void invades and fills everything. In Marienbad you think that there was no "last year," and only later do you realize that "last year" has invaded everything: you're in it. In the same way, you believe that there's no Marienbad, only to realize that that's where you've been from the beginning. The event which the woman refuses ends up contaminating everything, so that even though she thinks she has never stopped fighting, and has won since she has always refused, she realizes at the end that it's too late - she has accepted everything. Just as if it were all true, even though it probably isn't.'

For Resnais, however, Marienbad takes place in mythical time, like the stories of Cinderella, Sleeping Beauty, Orpheus and the Breton maiden's bargain with Death, because he has constructed his film as a castle haunted by the great storytellers of cinema: Welles, Lang, Hitchcock (seen in silhouette in one shot), Cocteau, Pabst, Epstein, Gance, L'Herbier, Ophuls, Sternberg, Renoir, Disney, Lewton, Feuillade, Guitry, Bunuel, Bresson, Visconti, Antonioni, Bergman, Rossellini. Because his film is an original creation within which all those influences resonate, it is 'open to all myths,' as the director told Labarthe and Rivette. And although it is as singular an object as cinema has produced, it will be a long time before we see the last of its descendants.

Hitchcock, by the way, loved Resnais, whom he described as "almost a surrealist."



Bill Khron

terça-feira, 19 de junho de 2007

Uma boa definição de cinefilia, como sempre, em Argento: alguém que também olha para trás.

sábado, 2 de junho de 2007

In the ’50s, he successfully promoted such underrated Americans as Joseph Losey, Jules Dassin and Anthony Mann — favoring filmmakers who are “humanist,” who don’t “use any tricks,” who “only use a camera to be close as possible to the perception of a scene.”

terça-feira, 29 de maio de 2007

Rivette

“One could see there successively at 6:30 p.m. Griffith’s Broken Blossoms and at 8:30 Andy Warhol’s The Chelsea Girls. And it was fabulous precisely because one could see Griffith and Warhol together on the same night. Because it was then that one realized that there are not two or three kinds of cinema, there’s only one cinema. It was the perceptual interaction of the present and the past of the cinema that was so exciting.”

...

After years of obscurity, Jacques Rivette's puzzling Out 1 finally makes it to Chicago.

sexta-feira, 18 de maio de 2007

Amok, l'âge de la terre

Il est plus facile de décrire l'impression qu'a causée le film que le film lui-même qu'il est plus facile au narrateur lovecraftien de décrire l'affect shoggothique que l'aspect de la créature. Comme le narrateur en question, on a envie d'écrire: "Tous les mots que je pourrai tracer seront incapables de suggérer au lecteur l'horreur de l'effroyable spectacle que s'offrit à nous." Spectacle, on l'aura compris, qui du moins ne manque pas de grandeur - ce qui ne fut pas forcément le cas de maints films de la Biennale, y compris couronnés. Mais on ne couronne pas un monstre, on le fuit ou le tue. En gros, c'est ce qu'on fait (l'un et l'autre) les spectateurs, la presse, le jury. Et même si c'est compréhensible, c'est dommage, car on a détruit là une bonne partie des chances (si tant est que le terme de chance soit celui qui convient) de voir en Europe cette oeuvre stupéfiante.

L'AGE DE LA TERRE, comme son nom le suggére, ne vise à rien de moins qu'à retracer tout à la fois l'histoire du monde, celle du Brésil - ancienne et récente -, à prendre à la fois la mesure de ce pays-monstre, de ce pays-continent, et de la politique planétaire. N'allez pas croire que cela signifie que les analyses y abondent. D'un bout a l'autre de ce film, à une ou deux oasis près de rationalité journalistique, le vu-mètre ne cesse d'osciller entre la transe de macumba et les vociférations les plus effrayantes. La caméra semble maniée par les moignons putrescents de quelque fongosité blasphematoire (pour rester dans le style lovecraftien). Si le point y est, ou la lumière, ou le cadre, on croirait que c'est par hasard. Avec ça, un montage d'une sauvagerie inouïe, un montage d'assassin, de fou du hachoir. Le metteur en scène apparaît à l'image une ou deux fois, c'est pour montrer un visage de damné, donner dans le vide un violent coup de machette sanglant. Quant au discours, au "sens", qu'en dire? Tous les énoncés y passent, comme à la moulinette: révolutionnaires, marxistes, tiers-mondistes, fascistes (et des plus dégoûtants; ironie sur les tortures, "j'ai été torturée, extrêmement torturée, j'avoue en avoir éprouvé du plaisir", dit une jeune femme, symbole de la bourgeoisie intellectuelle de gauche), enfin macumbistes et chrétiens. Le Christ apparaît sous les traits d'un Noir du sertão, qui multiplie le Coca-cola. Etrange, étrange film, qui fait paraître de sages et pâles exercices les précédents de l'auteur.

Jamais je n'ai eu à ce point, en présence d'un film, l'impression de me trouver devant une terra incognita absolue, cette énigme, le tiers-monde. Jamais rien ne m'a donné, dans le cinéma, ce sentiment d'étrangeté continentale, comme ce film de Glauber Rocha. Mais aussi, de singularité désespérée, de solitude panique. Cette monstruosité traversée de clowns allégoriques hurlant sans fin les mêmes phrases, comme des plans-séquences qui n'en finissent pas, cette destruction in progress, au milieu du film d'auteur, off, tente de définir, d'un torrent verbal. J'ai retenu deux mots: desperaçao lysergica. "Un film de desperaçao lysergica." Provisoirement, on peut s'accrocher à cette définition.

PASCAL BONITZER, Cahiers du Cinéma, no. 317, novembre 1980

terça-feira, 15 de maio de 2007

domingo, 13 de maio de 2007

Leone at War

If, like perception, film is a true hallucination, some films really are hallucinations. They persist as an image, a single image. Or a theme. Or a theme tune by Morricone. Everybody's seen them, or thought they've seen them or thought that everybody had seen them. They're no longer to be distinguished from the impact they had, the landscape they've opened up or the clones that have followed them. So much so that whenever we come across them on the small screen we are staggered when we find in them again that state of freshness they - and we too - had at their birth. This is the case for instance with Sergio Leone's first three westerns (called 'Spaghetti westerns' no doubt because one hundred per cent durum wheat is probably the stuff of good humanists, of which their director, deep down, is one) and with The Good, the Bad and the Ugly which FR3 will show on Monday evening.

The film starts with what in the end was left of it, with that exhibitionism that makes entrances into shot and into the action comparable (this has been observed so often that it's a cliche) to the great arias of verismo opera. Three actors who belong to three worlds of the cinema (Wallach comes largely from working with Kazan, Van Cleef was Ford's second string and Eastwood isn't Eastwood yet) indulge in three jubilatory recitatives and slowly prepare to argue about a lost haul of $200,000. Everything is enacted through their eyes ( rather than their acting), eyes that are there more to be seen than to see. Whether widened or narrowed and mean, these organs of sight do not prevent their owners from missing the only reality of the time: the Civil War.

For this is where the TV re-viewing of The Good, the Bad and the Ugly turns out to be an absorbing experience. The real film does not resemble the memory it left behind. There aren't three but four characters, and where it takes forty minutes to introduce the first three, it takes even longer to allow the fourth - the war - to creep into the picture and carry more and more weight. So much so that between the moment when we learn that the booty is buried in Sad Hill cemetary and the moment when we finally reach it, the word cemetary (and its image) has changed meaning. The film's undertaking is to remind us that in a cemetary there are more corpses of dead soldiers than buried treasure. How subtle is Leone's didactisism; there's no mention of a war, it's encountered in the course of the film and suddenly you realise it's been there for a long time and is horrifying.

The beauty of this film and what makes it a great film about War in general is that Sergio Leone isn't mixing genres. Either out of artistic honesty or out of a prescient awareness of what awaits the cinema. He comes up with a new way of showing bodies streaming along in dust coats and figures adrift in the desert of a landscape too vast for them. Tautological figures, disconnected from virtually everything, their only know-how a touch of cunning and a lot of style when it comes to handling objects. Faces that advertising, fashion and the video promo have looked at a lot thereafter. At the same time, once the screen fills up and the war crams it with little flesh and blood soldiers, Leone films differently. In wide shot, with the greatest delicacy and a respect for distances and characters that can only remind us of that other great sentimentalist who had little time for photogenic slaughter: John Ford. Precisely as if Leone were prolonging Ford's legacy for a few years while simultaneously showing the new landscape, the one coming after and altogether of a different order.

It can happen (though this is a defect) that a film contains several films. It is seldom that a film is located precisely at the crossroads of the paths between a classical art whose secret will be lost and baroque proposals whose formulae will lead to a calamity. It is seldom that a director is honest (or schizoid?) enough simply to juxtapose, without any possible reconciliation, what it scarcely compatible any longer. It is even more unusual that instead of suffering from this split, his talent thrives on it. It is probably the later Leone of Once Upon A Time in America who will suffer, when he wants to restore the classicism at the heart of a cinema that will by then have absorbed Leone's mannerisms beyond recognition. In 1966 it is different. Sergio Leone is universally ahead of the times and universally behind the times, he is therefore timely.

Serge Daney

1 December 1988

quarta-feira, 9 de maio de 2007

sexta-feira, 4 de maio de 2007

terça-feira, 1 de maio de 2007

- Observe, e simplifique.

Bruno Cremer, Un jeu brutal.

terça-feira, 24 de abril de 2007

À la Raoul Walsh

E o Romero inclusive achou no Simon Baker o seu Troy Donahue.

sábado, 31 de março de 2007

PREMINGER AUJOURD'HUI


par Jacques Lourcelles


Au sein même de l'originalité spécifique à leur œuvre, la plupart des grands cinéastes ont dégagé et mis en application un précepte, une loi, un principe qui valent pour leurs films mais aussi, à des degrés divers, pour tous les films, y compris ceux qui paraissent a priori les plus éloignés des leurs.

Le suspense hitchcockien ne concerne pas seulement les films du maître mais à peu près tous les films quand ils ont quelque qualité. Chaque scène, dans un vrai film, fait attendre la suivante avec une sorte d'anxiété qui peut exister dans les sujets et les intrigues les plus paisibles et qui est indissociable du plaisir cinématographique.

Quand Dreyer, décrivant la façon dont il a organisé le décor d'une cuisine dans Ordet, parle de choix et d'épuration - notamment dans les accessoires -, cette notion de dépouillement vaut bien entendu pour la plupart des grands films qui, sans elle, perdraient toute chance d'avoir un sens, une figure propre. Suspense et dépouillement peuvent être, ailleurs que chez Hitchcock ou Dreyer, moins spectaculaires ; ils n'y sont pas moins présents.

Chez Preminger, au travers de la variété des sujets et des points de vue (variété qui l'a, un temps, privé du statut d'auteur, mais de cela les grands cinéastes se remettent beaucoup mieux en général que les petits), on décèle une lente, une tenace et constamment secrète recherche de la beauté. On pourrait même définir en Preminger le parfait dandy du cinéma, si la multiplicité de ses curiosités, passant vraiment au premier plan de son oeuvre à partir de 1954-1955, n'avait fini par donner de lui, comme une image dominante, celle d'un grand reporter, d'un romancier de la réalité, attaché surtout aux vastes sujets, aux drames et aux épopées du monde contemporain. Mais il vit dans cette variété à la fois une condition indispensable et un obstacle terriblement favorable en définitive au surgissement de la beauté qu'il recherchait.

Après avoir décrit des héroïnes rongées par leurs démons intimes et négateurs, il passa - avec d'ailleurs pas mal de sinuosités, revenant ça et là à ses premières amours, inversant les rôles et montrant, à l'occasion, des hommes d'âge mûr ravagés par les mêmes démons -, il passa aux héros positifs qu'une énergie mieux dominée amène souvent au bord du gouffre mais empêche d'y tomber. Il pensait que de cette variété seule pourrait naître à la fin une unité, non pas superficielle et fugace, mais interne, organique et pour ainsi dire inévitable qui serait, elle, dépositaire de la beauté de l'œuvre. Par ailleurs, cette variété, seule également, pourrait venir au bout du péché le plus inavoué des dandys, l'ennui, cet ennui toujours redouté et toujours combattu.

Preminger appartient à cette race d'artiste qu'on ne voit guère traiter deux fois le même sujet, dans cette lutte constante qu'il mena contre la mémoire, ses pesanteurs, sa rigidité, ses répétitions, ses menaces d'impuissance, refusant obstinément de se souvenir de ses films après qu'il les avait faits. Cela ne l'empêcha pas d'être fidèle, une fois pour toutes, à un style né de la Fox dans les années quarante et qu'il mit à l'épreuve justement, tout au long de sa carrière, par la diversité des sujets qu'il illustra : amples mouvements d'appareil à l'élégance sans égale, montage invisible, utilisation réaliste et authentique du décor, plans longs comme si chacun d'eux devaient s'étendre à la durée torale du film. Grâce à ce style enveloppant qui fait d'eux, à parts égales, des démiurges et des proies, Preminger révéla, encore plus que par les prestiges de la dramaturgie, la double nature de ses personnages : présents au monde, qu'ils veulent modifier en quelque point par l'effet d'une volonté qui ne leur laisse pas de répit ; absents du monde, ou tellement distants de lui que c'est comme s'ils n'en faisaient plus partie, ayant découvert à la fin qu'il n'y a pas de victoire possible, sauf en un retrait fulgurant dans la mort ou dans l'éternité.

Selon qu'on sera sensible à la présence ou à l'absence de ces personnages, les films de Preminger paraîtront des romans psychologiques solidement ancrés dans leur réalisme documentaire et analytique ou bien des poèmes vertigineux, presque fantastiques, abandonnés progressivement aux puissances délétères de la nuit et de l'autodestruction.

Dans les deux cas, la beauté aura surgi, non pas épisodiquement, à l'improviste, mais toujours comme la conséquence inévitable d'un contrôle forcené sur la matière, contrôle commençant à la production du film et finissant à sa présentation publicitaire sur les affiches et dans les salles (à cet égard le logo, à la Matisse, de Such Good Friends est aussi premingérien que les premiers plans et le début du commentaire off de Laura).

Faisant partie intégrante de cette beauté, il y a l'étrange respect de l'auteur pour ses créatures. Décrites dans les tréfonds de leur intimité, elles ne nous auront jamais semblé familières ; fascinantes, elles ne nous aurontjamais été proches. La distance qui nous sépare d'elles mesure le dandysme secret de Preminger : il contrôle tout, mais crée des personnages qui sont le contraire de marionnettes ; il les examine sous tous les angles pour les rendre finalement insaisissables.

Aujourd'hui où le cinéma américain a presque intégralement sombré dans une trivialité qui le rend étranger à toute recherche esthétique, le dandysme a gagné en évidence ce qu'il a perdu en secret. Et ce dandysme se révèle in fine comme une composante, infinitésimale ou basique, de tous les grands films.

sábado, 10 de março de 2007

Num simples deslocamento lateral, numa discreta correção da câmera, o domínio total, o gênio absoluto da dramaturgia espacial
(diferença entre Scorsese e Cimino: Scorsese movimenta a câmera, Cimino movimenta o espaço).

quarta-feira, 14 de fevereiro de 2007

"Reading" films became fashionable thirty years ago, nonetheless, when semiotics declared that everything is a sign signifying something it itself is not. Everything, thus defined, acquired eluctability. In compensation semiology turned to genres, conventions and ideologies, to systems of signs, to "language."

To this tendency one of the founders of historicism, Benedetto Croce, said no a century ago. True language or "poetry," he said (meaning Art in general), has no signs. A sign is a sign because it stands for something other than itself; but poetry stands only for itself. Signs are found in prose-the impoverished pseudo language of convention, the language of science.


Tag Gallagher

terça-feira, 13 de fevereiro de 2007

The Last Temptation of the First Rambo

Once it has become impossible to separate a film from the mass phenomenon it has become, once its celluloid hero has become an all purpose emblem, there are advantages to seeing it again on television namely that the small screen hails it for no more than it is. Rid of its aura, it becomes once more what it started out as: sounds and images among other sounds and images. It can happen even that the film loses nothing in this modest recycling.

Under the impact of the recent offspring, Rambos II and III, we can still keep enough wits about us to find again in Rambo I (director Ted Kotcheff) its initial qualities. How did John Rambo, the Vietnam hero, become a maddened beast, the films asks. How did Rambo, the film, degenerate into sillier and sillier sequels, is to ask the same question. How does it come about that it’s probably no longer possible to have any following through of ideas is yet again the same question, asked this time of cinema as a whole. It applies both to Rambo and Rocky, that’s to say to Stallone, who went from great to grotesque in each of them. These days, moneyspinners get sold down the line at the first opportunity. Before being a vengeful brute, Rambo was a hunted animal legitimately on the defensive. Rambo in fact doesn’t exist and if he starts out so sweet and sensitive it’s because at the time (1983) America hadn’t yet made its peace with its war and Jane Fonda hadn’t yet made her apologies to the veterans. When America had finished with its Vietnam mourning, Rambo gained in biceps what he had definitely lost in neurons. The series has no inherent logic: it’s an opinion poll in progress.

This doesn’t stop the telly-vision of the first Rambo from being one of the nicest things. Everything is clear in this film with its qualities of primitive American cinema, with the action set at the centre of the picture and the motivations at the centre of the dialogue. Everything is clear because the only not-so-clear thing (the still recent Vietnam war) is only mentioned at the end of the film, when the weeping Rambo is about to give himself up. In the meantime, everything that happens takes the form of a trauma, as conveyed by the over-disparaged ‘acting’ of the actor Sylvester Stallone.

Rambo isn’t just a film about someone who has almost lost the power of speech, it is fundamentally a silent film. Silent about all the big questions whose formulations it delays to the utmost. Silent about buried causes and final outcomes, silent in the face of violence and nature. We should be grateful to Stallone for this film’s reinvention of an acting style where the face is as wide-eyed and expressive as a semaphor. This makes him like the actors in the early westerns, dumbstruck, startled and twitching at the slightest thing in the midst of hostile nature.

If Rambo were a western, Rambo would be an Indian. Not the vanquished Indian of De Mille’s films but the angry Indian who has returned to challenge his former conquerors now conquered by Vietnam. This western section is the best part of the film, and the most significant. Rambo has no need of a script because Rambo is its script, its memory that is. The recent memory of the Vietnam trauma, the ancient memory of the Indian genocide, quite simply the memory of the American people insofar as they are not too forget that they too are a warrior people. It is when they encounter Rambo (a shade roughly) that the forces of order of a small American town learn how to fight again, thanks to the war which he tells them is his alone. This is Rambo’s sacrifice, this is his Christ-like dimension. The suffering for him, the consciousness-raising for others. In this sense Rambo is a true Christ and his last temptation’ (that of only being a man like other men) coincides with the ‘first blood’ (his blood, shed at the start out of sheer malice). Now there’s someone who at least can save the world, instead of enduring the snobbish torments of contemporary individualism, like his future little brother out of Scorsese.

This is the real reason why so many have identified with his masochistic bodybuilding physique. All those for whom individualism is still a luxury recognise themselves in redeeming heroes, and they are never too particular about the ultimate nature of what is redeemed. For these earnest heroes who make them laugh redeem them from one thing at least: boredom.

Serge Daney

28 October 1988

domingo, 28 de janeiro de 2007

La guerre n'est pas finie

Enfant de la classe ouvrière, enseignant dans les quartiers défavorisés, cinéphile autodidacte, Jean-Claude Brisseau est un personnage atypique dans le cinéma français. Alors que sort le lyrique Les Savates du bon Dieu et que la Cinémathèque lui organise une rétrospective, rencontre avec un cinéaste attachant qui se définit comme chrétien, marxiste et freudien.

Jean-Claude Brisseau :­ Aucune séquence des Savates du bon Dieu n'est traitée de façon réaliste, le traitement est délibérément non réaliste. Aucun de mes films n'est réaliste, en tout cas naturaliste, y compris De bruit et de fureur, qui renvoyait pourtant à une certaine réalité sociale : tous mes films comportent une zone d'ombre. En entreprenant ce film, j'avais une conscience aiguë du risque que je prenais en optant pour un parti pris d'hétérogénéité absolue. J'aime renvoyer à la réalité sociale, d'une part en mélangeant les genres, d'autre part en insérant des éléments surréalistes. Dans Les Savates..., la narration est plus proche des Pieds Nickelés revus par Aladin que de celle d'un film social ­ ce qui ne s'était jamais fait, c'est pour ça que ça m'intéressait. Et j'avais conscience que c'était d'un risque total. Parce que je pouvais dérouter le spectateur, mais aussi parce qu'il y avait un risque réel avec ce type d'équilibrage de louper complètement son coup au moment du tournage.

Comment avez-vous conçu ce mélange des genres ?

Au début, le film a l'air d'être sérieux ­ encore que quand le gamin sort sa hache, j'ai tendance à me marrer, il y a déjà un côté dérisoire, même si le spectateur n'est pas censé trop s'en apercevoir. Au bout de vingt minutes arrive le personnage délirant de Maguette, un roi africain tout droit sorti de la lampe d'Aladin. Puis, après la séquence de la salle de classe, au lieu de montrer des cambriolages à la Bonnie & Clyde, je bifurque vers des scènes intimistes entre les deux personnages centraux. Il y a un côté conte qui s'articule sur le mélange des genres. Je cumulais d'autant plus les risques que le film comporte à peu près cent séquences différentes et, à elles seules, les deux scènes de l'émeute et de la fusillade dans le bar m'ont pris deux semaines de tournage. Il me restait donc seulement quarante jours pour tourner toutes les autres, dans des lieux différents, avec des acteurs jeunes et peu chevronnés. Que le public soit suffisamment dérouté pour ne pas pouvoir mettre une étiquette sur le film, c'était un des buts, mais il fallait que je fasse attention au risque réel de rejet total de sa part. J'ai envie de savoir jusqu'où on peut aller sans se couper complètement du public.

On a l'impression que vous mélangez de plus en plus les éléments de réalité sociale et les sorties vers l'imaginaire ou le conte fantastique. Dans De bruit et de fureur, les deux choses étaient plus strictement séparées.

De bruit et de fureur était déjà construit comme ça. Le film avait l'air très sérieux pour toute une partie du public mais moi, issu de ces milieux-là, j'ai envie de me marrer quand le personnage de Bruno Cremer tire à la carabine dans son appartement. Ou quand il se bagarre avec les petits voyous et sort sa serpette : la serpette est l'arme favorite de ces gens-là, parce qu'on peut la trimbaler avec soi comme un outil innocent et plus maniable qu'une hache. Voilà le genre de scènes que j'aime, celles où on peut passer du rire aux choses graves, puis aux éléments poétiques ou oniriques. On retrouve ces éléments chez Shakespeare, sans me comparer à lui, et le personnage de Maguette pourrait sortir de La Tempête.

Vous êtes-vous mis dans vos films ?

Non, même si le personnage de Fred dans Les Savates... est proche de moi : c'est un naïf et un con, et je me sens un peu comme ça. En revanche, j'y mets des situations que j'ai vécues et des personnages que je connais. De bruit et de fureur était inspiré par mes élèves de l'époque, mais atténué dans la violence, pour que le film ne devienne pas insoutenable. Inconsciemment, De bruit et de fureur était aussi inspiré par des personnages de mon enfance, certains issus de ma propre famille. Quand la Cinémathèque m'a demandé de choisir quelques films à côté de la rétrospective des miens, je me suis aperçu que je choisissais des films de ma formation cinéphilique qui avaient tous l'air d'être réalistes, tout en échappant au réalisme. Si vous prenez La Guerre est finie de Resnais, le film a l'air de parler de la réalité politique de l'époque, et ce n'est pourtant pas ça qui est filmé. Dans mes propres films, le sujet n'est jamais le naturalisme mais un certain type de rapports avec la réalité. A chaque film, j'essaie de trouver une manière nouvelle d'aborder ces rapports complexes avec la réalité.

Etes-vous conscient de tordre tellement les codes de représentation admis par le public que vous risquez parfois de flirter avec le rire involontaire ?

Bien sûr. Dans Céline, lors des vingt premières minutes, il y a une guérison de paralytique, une lévitation, une fille qui sort de son corps, une tentative de guérison d'un mongolien, pas moins. J'ai essayé de traiter tout ça en ne versant pas dans l'ésotérisme et sans souligner mes intentions, mais j'étais bien conscient que je risquais le rejet par le rire involontaire. Je fais du cinéma justement pour ces risques-là. Devant un de mes films, le spectateur doit toujours se demander s'il est en train d'en faire la lecture correcte et s'il a bien le droit de rigoler après que le film a commencé sur un registre grave. A la première projection de De bruit et de fureur, des jeunes gens se marraient ouvertement et moi j'étais plutôt de leur côté. Alors que des spectateurs plus sérieux leur demandaient de quel droit ils osaient se moquer de choses pareilles. Provoquer un sentiment de culpabilité chez le spectateur face à son propre rire m'intéresse beaucoup. Dans Les Savates..., je ne livre pas les clés du film au spectateur, on ne sait pas si le film penche du côté des Pieds Nickelés ou de Bonnie & Clyde.

Les Savates... peut-il être lu comme l'itinéraire initiatique d'un personnage vers la lucidité, notamment amoureuse ?

Bien sûr, c'est un roman d'apprentissage de la lucidité. Même si la fin est très ambiguë, car Fred se fait rouler par les deux femmes et tourne en rond comme un gamin, preuve qu'il n'est pas si lucide que ça. Lui, comme tout le monde, vit dans une espèce d'imagerie dont il est incapable de se défaire totalement. J'aime beaucoup jouer avec l'imagerie parce que ça permet de se faire comprendre plus vite, d'accélérer la narration.

Dans tous vos films, les hommes sont aveugles ou aveuglés, alors que les femmes détiennent le savoir, la connaissance d'un autre côté du miroir.

Les femmes et aussi les enfants, parfois. J'ai projeté mon côté naïf sur Fred. J'ai demandé à Stanislas Merhar de copier ses regards sur ceux de Gary Cooper dans Sergent York d'Howard Hawks. Dans L'Ange noir (1994), tout est construit sur l'illusion et le factice, y compris un certain nombre de choses sociales et politiques. C'est la tragédie dans un monde factice et privé de transcendance, entièrement manipulé par des femmes. Pour moi, les femmes sont liées à une connaissance d'autrui et de la réalité plus forte que celle des hommes. Mais elles portent aussi une part de mystère et de pouvoir de manipulation. Ce sont des thèmes qu'on retrouve chez le Bergman des années 50, moi je le fais spontanément, probablement parce que je me mets à la place de tous les personnages masculins de mes films, mais sans m'y projeter en tant que personne.

Pourquoi tenez-vous autant à travailler l'imagerie, en particulier érotique, et les clichés ?

Parce qu'on vit tous dans cette imagerie ou ces clichés. Freud a bien montré qu'on retrouve les mêmes symboles chez tous les individus. C'est donc à partir d'images centrales que se constitue notre inconscient. J'ai toujours été frappé par les malades en pleine crise de démence qui ont un sentiment de réalité plus fort quand ils voient des monstres sortir des murs que face à la réalité elle-même. Je crois que pour entrer dans la réalité, il faut commencer par en douter. Car elle est toujours perçue à partir de notre inconscient, qui est constitué d'images fortes qui nous permettent de communiquer.

Comment avez-vous conçu l'équilibre du film entre ses différents courants ?

L'équilibrage d'un film est toujours quelque chose d'assez délicat. C'est pour ça que j'essaie de préparer tout à l'avance très minutieusement, sur le choix des comédiens et des décors, sur toutes les séquences du film. Si mes films étaient plus simples, s'ils étaient construits sur moins de tonalités différentes, je me soucierais moins de tous les détails. Mais l'équilibre de mes films tient à des détails, c'est une affaire de cuisine qui résulte d'un dosage précis, pour que la sauce prenne. De ce point de vue, le remake de Psychose par Gus Van Sant est une mine d'or cinéphilique. Moi, j'ai appris le cinéma en regardant Psychose d'Hitchcock une centaine de fois. Voilà pour la première fois un film qui est à 95 % le remake d'un autre : comment se fait-il que l'un soit fort et l'autre pas ? Alors que la construction est exactement la même. Tout tient d'abord au choix des comédiens : Anne Heche joue moderne, genre "Je n'en ai rien à secouer de voler." Résultat, on s'en fout, aucune identification, aucun intérêt pour elle. Pareil pour Julianne Moore avec son sac à dos et Viggo Mortensen, rien à secouer de ces gens ! L'autre erreur absolue étant de montrer Norman Bates en train de se masturber, il n'a donc plus aucune raison de la tuer, le symbole phallique du couteau n'a plus de raison d'être, c'est d'une connerie totale ! Toutes ces petites choses-là amènent une rupture dans la fascination, ce qui prouve que la réussite d'un film ne tient qu'à des détails, qu'un ingrédient loupé ou mal dosé peut faire tomber un film. Et que la perfection de la construction ne suffit même pas. Le casting est tout aussi essentiel : La Mort aux trousses ne peut pas fonctionner si on remplace Cary Grant par James Stewart ou Woody Allen ; il n'y a plus de film ! Et plus vous naviguez dans l'émotion ou la fascination, ou l'érotisme, plus les éléments sont durs à manier.

Les Savates... traite aussi de la réalité politique et sociale. Mais vous avez le souci constant de ne pas être trop didactique.

Oui, mais pas seulement. J'ai aussi le souci de ne pas entrer dans les modes, le film doit pouvoir être revu dans vingt ou trente ans sans être marqué par la mode de l'époque. Dans le domaine du politique et du social, j'essaie d'aller au fond des choses, vers ce qui subsistera toujours et partout. Pour De bruit et de fureur, le scénario écrit à la fin des années 70 est toujours aussi actuel, parce que j'avais cherché à ce que le film ne soit pas rivé aux signes extérieurs les plus superficiels. Les Savates... est aussi l'histoire d'une prise de conscience du monde économique et politique que nous sommes en train de vivre.

Vous continuez de considérer que le prolétariat ne peut se libérer que par l'éducation et la culture.

Oui, même si de ce côté-là, on est plutôt dans une phase de régression que de progression. Parce que, pour qu'il y ait apprentissage réel, ce que vous êtes en train d'apprendre doit vous renvoyer à quelque chose de vrai et de vécu. Pour éviter le dogmatisme de l'enseignement, il est nécessaire de faire découvrir la vérité humaine présente dans les textes littéraires comme dans les mathématiques. Mais cet exercice de découverte demande un minimum de concentration, et le désordre n'est certainement pas une aide pour la classe ouvrière. Moi qui viens d'un milieu extrêmement modeste, l'école et la culture m'ont permis d'accéder à mon rêve de cinéma et de changer de milieu social. Sans maîtrise du langage, rien n'est possible ­ ni dans la vie affective ni dans la vie professionnelle. Quand des gens payent pour pleurer à Autant en emporte le vent, ce n'est pas par masochisme mais pour éprouver une émotion qui va les aider à vivre la souffrance, c'est de l'ordre de la sublimation fondamentale. Et cette sublimation est impossible sans accès à la culture. Comme la vie en société repose sur une certaine répression des pulsions qui déclenche un mal-vivre, on ne s'en échappe qu'en sublimant par les arts qui savent réveiller la souffrance tout en la berçant. C'est de ça que parle Baudelaire dans La Musique.

D'un point de vue politique, on a l'impression que vous êtes vous-même clivé entre pulsions libertaires et ordre de type républicain.

Sans cet ordre-là, il n'y a pas de civilisation possible, c'est le retour assuré à la loi de la jungle et à l'esclavage pour les plus défavorisés, sans parler des nouveaux types de fascisme qui verront alors le jour. Ce clivage est évident chez moi car tous mes films parlent du rapport à la loi. Et je déteste le discours moralisateur qui consiste à dire que les gens bien insérés dans la société sont bons et les autres mauvais. Moi, je fais le choix raisonné de la société, mais je me refuse à dénier les problèmes que ce choix implique, et en particulier celui de la transgression. Si des gens commettent le mal, pour employer un terme délibérément simpliste, c'est bien qu'ils y trouvent du plaisir. Dans mes films, j'essaie donc de dépasser mes positions de citoyen en colère en affrontant le problème de la transgression des interdits. Je me refuse à être bêtement moraliste.

Vous considérez-vous comme un cinéaste mystique ?

Que j'aie des préoccupations mystiques, c'est évident. D'autant que j'ai eu une éducation catholique que je ne regrette pas du tout. Je suis chrétien, marxiste, en ce qui concerne l'analyse de la société, et freudien. Marx et Freud considèrent qu'il y a un inconscient social, que l'analyse ne doit pas s'arrêter à la conscience qu'on a de soi-même. Je relisais par hasard la première partie du Manifeste du parti communiste : ça s'applique exactement, mot pour mot, à ce qui est en train de se passer aujourd'hui dans le monde. Tous mes films sont le reflet de mes interrogations sur le sens de la vie. Mais je n'utiliserai jamais le cinéma comme un tract politique, même si mon discours dans la vie peut s'en approcher. Quand je fais un film, j'essaie de prendre de la distance avec mon propre discours.

En tant qu'ancien enseignant en banlieue, comment réagissez-vous au terme de "sauvageons" ?

L'état de déliquescence armée de certains quartiers est assez inquiétant. Mais il ne faut pas aborder par des formules simplistes une réalité extrêmement complexe. Chevènement a au moins le mérite d'aborder cette réalité. Mais il vaudrait mieux aborder franchement la délinquance, qui est une sorte de point aveugle du monde politique qui a tendance à s'enfouir la tête dans le sable face à ces questions de la fonction de l'école et de la délinquance, y compris la gauche. Le terme de "sauvageons" face à la réalité de la délinquance résonne comme une mauvaise plaisanterie. C'est un terme qui révèle l'embarras du politique. Dans certaines zones de non-droit, il est aujourd'hui impossible d'être autre chose que délinquant, ce qui révèle à la fois la faillite de l'Education nationale et l'état de la société. Car l'école est le reflet de toutes les contradictions de la société et d'un malaise social profond. Il n'y a pas de solutions simples à ces problèmes extrêmement complexes, mais la première solution serait sûrement de commencer par désarmer les banlieues. Ce que je ne supporte pas, c'est la lâcheté des politiques face à ces problèmes. Le pire, c'est de ne rien faire, comme si les problèmes n'existaient pas : c'est insupportable.

sexta-feira, 19 de janeiro de 2007

Ce qui est beau, justement, chez Pialat et Cimino, c'est qu'ils ne sont pas des idéologues. Pialat enregistre le présent des choses, ici et maintenant, là où l'idéologue renvoie le monde à ce qu'il "doit être", selon une conception ou une autre. L'idéologue, l'utopiste ou l'idéaliste d'ailleurs, je veux dire celui pour qui les choses ne vont pas de soi. Cimino ou Pialat filment un ordre naturel, on pourrait même parler de "milieu naturel" pour Cimino, de biotope, au sens où il observerait comme un naturaliste les choses sentimentales, sociales ou politiques qui signent le comportement des êtres sans jamais faire valoir son point de vue omniscient.

...



Histoire et Histoire

Renoir, tout en enregistrant cet "inconciable", à la manière du naturaliste qu'il est, n'en pointait pas moins, avec un regard politique acéré, que cet inconciliable était aussi le fait de la culture, de l'idéologie, et plus seulement d'une sorte d'état de nature ou du simple fonctionnement d'un biotope. C'est sans doute ce qui le différencie de deux autres "naturalistes" (même si ce terme est tout à fait relatif concernant Cimino, du moins en ce qui concerne la forme) pour qui l'Histoire a davantage valeur de vérité fondamentale et intemporelle (dans La Porte du Paradis par exemple, au delà de la précision historique, c'est un état qui confine au mythe, à l'intemporel, au "toujours" du monde ou de l'Amérique). Quant à Pialat, l'Histoire n'est pas son propos. Chez Renoir, il me semble que ce n'est pas juste l'Histoire, mais bien cette Histoire à un instant, non une Histoire particulière dans l'éternel retour d'une Histoire plus vaste.


Arquivo do blog