sexta-feira, 14 de setembro de 2007

Selon vous, est-ce qu'un "cinéaste" se définit d'abord comme quelqu'un qui considère le cinéma comme un art du temps et de la durée ?

Il y a très peu de films dans lesquels l'art du temps s'exerce. Il ne peut y avoir art du temps que s'il y a art de l'espace. Les seuls qui ont vraiment le sentiment du temps, c'est les Straub. Mais le sentiment du temps peut être produit par-delà la durée des plans. Dans mes films, je pense qu'il y a le sentiment du temps, mais il n'est produit ni par le dispositif des plans ni par leur durée. Je ne sais pas ce qui le produit. Alors que chez les Straub, le sentiment du temps est produit par le rapport entre la durée des plans et l'espace. On retrouve un peu ça chez Kiarostami, mais moins nettement que chez les Straub. Alors que chez Hou Hsiao-hsien, l'espace joue plus que le temps, même si les plans durent très longtemps. C'est d'abord de l'exploration spatiale qui n'embraye pas sur du temps. La tenue du plan long ne garantit pas forcément le sentiment du temps. Chez Garrel, il y a le sentiment du temps à l'intérieur du plan mais pas en dehors.

Si vous revendiquez ce droit à la durée et à la flânerie, comment tolérez-vous une époque où il faut sans cesse s'afficher et afficher son style pour avoir le droit d'exister ?

Il faut faire les choses selon sa nature. Très nourri des Grecs et des Latins, je considère qu'il y a les choses qui dépendent de nous et les choses qui ne dépendent pas de nous. Quand on a compris son mode de fonctionnement, il faut s'y soumettre. Moi, je sais que je gagnerai toujours à ce que les choses mûrissent. Si je ne parviens pas à faire un film, ce n'est pas perdu, ça viendra nourrir le film d'après. En fait, je suis très fataliste, il y a toujours de la perte et du gain, même dans les situations les plus terribles, et ça fait partie de l'émerveillement de la vie. Je suis frappé par les contradictions chez les gens, ce qui permet d'inscrire du relatif partout, d'avoir de la distance avec ce qu'on vit soi-même et de ne pas prendre tout au tragique. Sur la question de l'époque, je ne me pose jamais la question. Je fais mes films avec la conscience du présent mais en tant qu'un ensemble de phénomènes de la réalité. A l'intérieur d'une séquence ou d'un film, j'ai envie de mélanger des éléments hétérogènes, sinon hétéroclites, et j'aurais l'impression d'appauvrir la charge de réalité si j'injectais des effets de mode ­ ça m'est impossible.

Tendez-vous vers une invisibilité de la mise en scène, alors que votre manière de diriger les acteurs est unique ?

Pour beaucoup de gens, la mise en scène doit être visible. Si elle ne l'est pas, elle est alors assimilable au tout-venant de la production, c'est le grand malentendu. Mais c'est vrai que ma direction d'acteurs et l'inflexion des phrases ne ressemblent à personne. Et je pense que les gens, spectateurs, critiques ou cinéastes, sont souvent complètement aveugles sur la direction d'acteurs. Alors que pour moi, tout est là. De ce point de vue, Renoir est le cinéaste auquel je donne tout le temps raison. "Tout le monde a ses raisons", même et surtout Renoir ! La direction d'acteurs, c'est-à-dire le sentiment de vérité des êtres filmés, c'est le critère de vérité du cinéma. Or la plupart des cinéastes n'ont pas ce souci de la vérité des êtres filmés. Alors que pour moi, le cinéma, c'est principalement ça. Les films des Straub sont exceptionnels à cause de ça : non parce qu'ils font des plans longs ou implacables, mais parce que les acteurs véhiculent des effets de vérité qui découlent d'une conversion de la direction d'acteurs vers une recherche de la vérité des êtres humains. Dans mes films, les gens peuvent être déçus de ne pas retrouver la technique habituelle de leurs chers acteurs, parce que je ne respecte pas les codes du moment et le ronron habituel. Chez moi, le poids des gens à filmer est plus fort que tout, plus fort que le désir de combiner des genres. Dans Trois ponts..., j'ai coupé des scènes qui étaient trop rocambolesques, trop feuilletonesques, et qui me faisaient perdre la réalité.

Dans votre mise en scène, vous cultivez aussi l'aléatoire et l'accidentel ?

La dimension documentaire des films m'intéresse beaucoup. J'aime bien saisir des choses qui viennent de la réalité à l'intérieur d'un plan. Mais il n'y a aucune prétention à vouloir montrer de "l'arraché" à la réalité. Dans le recueil de mes chroniques des Cahiers, Poétique des auteurs (Cahiers du cinéma, 1988), il y a un article que j'ai intitulé Le Papillon de Griffith, à propos du Rayon vert de Rohmer. C'est un cinéma dans lequel le passage d'un papillon dans un plan appartient à la nature du plan et renforce l'impression de réalité. Beaucoup de cinéastes attendraient que le papillon passe pour faire jouer les acteurs, parce qu'ils considèrent que le papillon distrairait le spectateur de l'action dramatique. Alors que chez Rohmer, tout demande que le plan soit habité par les choses de la réalité. Chez Resnais, Sternberg ou Visconti, un papillon ne peut pas passer. Chez Kubrick non plus, interdit de papillon ! Chez les Straub, Ford, Walsh, Naruse ou Rivette, le papillon peut passer. Le papillon ne peut passer que chez les cinéastes où il y a de la contemplation du monde.

---

Biette, aqui.

Nenhum comentário:

Arquivo do blog