Reprise du «Désert rouge» (1964), qui a en son temps divisé la critique.
par Antoine de BAECQUE
Monica Vitti erre dans l'immensité de la plaine du Pô, où tout se noie dans la brume et la fumée, passe entre les usines de la banlieue industrielle de Ravenne, près d'une eau qui coule partout, longe les pylônes électriques ponctuant le paysage comme autant de potences modernes. Le Désert rouge, quarante ans après son lion d'or vénitien, est au panthéon antonionien. Et cela fait longtemps que les crises d'angoisse de Giuliana, sa tentative de suicide sans motif, sa confrontation folle au paysage désolé, ne nous choquent plus.
Quête désespérée. Le cinéma «moderne» est né de cette cuisse-là, qui de provocation s'est presque muée en cliché illustrant avec componction la pose de l'artiste mélancolique. Mais revoir le Désert rouge reste un choc. Parce que sa quête de sens apparaît toujours aussi désespérée : aucun geste démiurgique, aucun remède technologique ne peut ni la satisfaire ni même l'apaiser. On ne peut que regarder, médusé, un drame qui quitte la psychologie pour se faire entièrement plastique, absolument non résolu. Inconsolé et irréconcilié.
Se replonger dans cette palette de couleurs, ce bloc de matériaux, ce corpus d'humeurs, à la splendeur atonale et triste (Antonioni a tout fait pour «dévitaliser» ses images, atténuant le vif de l'herbe au chalumeau, repeignant les arbres en vert moins tendre), c'est aussi prendre la mesure d'une des polémiques les plus intenses de l'histoire du cinéma. Entre 1960 et 1964, de l'Avventura au Désert rouge, en passant par la Notte, l'Eclipse, Antonioni a bouleversé l'idée du film, composant l'oeuvre à partir de la perte plutôt que du gain : perte des repères, perte des sens, perte de signification. «J'ai repeint le visage de la réalité», confie-t-il à Godard qui fait imploser au même moment le déroulé des images par saturation.
Cette révolution passe mal, même dans la cinéphilie la plus aventurière. En France, si la revue Positif lui emboîte le pas, les Cahiers du cinéma se déchirent : autour d'Antonioni, la «bataille du moderne» est féroce. Les critiques phares du moment s'y répartissent entre classiques: Jean Douchet, pour qui Antonioni «c'est du cinéma pour happy few, pour ceux qui ne voient dans le cinéma qu'une annexe prétentieuse de la littérature», ou Louis Marcorelles y voyant un «excès de préciosité» et modernes : André S. Labarthe qui lit dans le Désert... l'entrée du cinéma dans l'ère de la désorientation, «un âge enfin adulte, celui du spectateur», le film étant «un brouillon» que seules la perception et l'interprétation peuvent achever. Quant à François Weyergans, il y reconnaît le dédale mythique, labyrinthe de l'imagination, le film visant à composer un état plastique permettant de rendre compte du dérèglement du monde. Le film antonionien y devient cosa mentale, forme visuelle de l'analyse. Antonioni, c'est Lacan et le spectateur son patient.
Fracture moderne. Ce sont les seconds qui gagnent cette bataille du moderne, Jacques Rivette, leur chef de file, prenant le pouvoir aux Cahiers fin 1963. Et pour signifier ce triomphe, ils célèbrent le Désert rouge en offrant au film un festin de couvertures. En octobre 1964, l'opus d'Antonioni est en «une» du dernier numéro de la période classique d'une revue célèbre pour sa couverture jaune, et le mois d'après, le même film est en couverture du premier numéro d'une nouvelle formule relancée par Daniel Filipacchi, plus large, en couleurs, prolongé en pages intérieures par une rencontre Antonioni-Godard, «La nuit, l'éclipse, l'aurore». Le Désert rouge est le film qui révèle et réduit, dans le même temps, la fracture moderne du cinéma.
sábado, 7 de janeiro de 2006
Séisme signé Antonioni
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