domingo, 11 de outubro de 2009

À la découverte d'Hugo Fregonese

Voici la première rétrospective quasi complète consacrée à un cinéaste méconnu, un peu secret, mais non ignoré de ceux qui ne bornent pas leur cinéphilie à une révérence envers les valeurs officielles et reconnues du cinéma: Hugo Fregonese (1908-1987), cinéaste argentin qui a travaillé dans son pays, à Hollywood et à travers l'Europe, auteur de vingt-cinq films dont une bonne partie mérite d'être regardée avec attention.

Commençons, une fois n'est pas coutume, par la fin, par le bilan: au moins quatre chefs-d'oeuvre (Donde mueren las palabras, One-way Street, Saddle Tramp, Apache Drums) et une poignée de films originaux parmi lesquels on citera Pampa barbara, Apenas un delincuente, My Six Convicts, Man in the Attic, The Raid, Seven Thunders, etc.

Son parcours se divise en quatre étapes successives. D'abord, une première période argentine (1945-1949) où se déploient déjà son prodigieux éclectisme et son goût pour les genres très codés dont les codes, justement, se prêtent à de multiples manipulations. Cette période comprend en effet une épopée picaresque Pampa barbara (dont le remake tardif, Pampa salvaje, 1966, accentuera le côté picaresque); Donde mueren las palabras, film inclassable, poème para-fantastique et métaphysique sur l'ambivalence de l'art, à la fois destructeur et régénérateur, qui met en jeu différentes formes esthétiques et anticipe ainsi sur les recherches d'un Michael Powell et sur sa conception du cinéma comme art total; Apenas un delicuente, policier ironique et violent, néo-réaliste à sa manière, hustonien presque en même temps qu'Huston; enfin un mélodrame subtil et complexe, De hombre a hombre, dont la mise en scène, sur le thème d'une double rédemption, valorise la pénombre, le demi-jour, les intérieurs à peine éclairés dans tout ce que ces éléments ont de douteux, d'incertain, d'anti-manichéen. Le film dans son ensemble est comme l'illustration concrète de la parabole du Corbeau de Clouzot dans sa séquence où la lampe se balançant fait passer une pièce par toutes les nuances de l'ombre et de la lumière.

La brillance de Fregonese, à travers ses premiers films, n'échappe pas à l'oeil aigu et à la vigilance des Américains. Il est appelé une première fois à Hollywood par la MGM mais elle le fait trop attendre pour lui confier un travail, et Fregonese retourne en Argentine filmer Apenas un delicuente. La seconde fois sera la bonne et la Universal lui proposera une brochette de scripts parmi lesquels il choisit pour des raisons évidentes One-way Street, sans doute avec Apache Drums son meilleur film. Oeuvre à peu près ignorée de tous les amateurs de cinéma car la Universal la distribue à peine et dont James Mason, sa vedette, dira qu'il n'a jamais rencontré, sa vie durant, quelqu'un qui l'ait vue.

De 1950 à 1954, Fregonese réalise dix films à Hollywood à quoi s'ajoute une incursion en Espagne pour tourner Decameron Nights, production anglaise mettant en scène le grand conteur italien! En 1956 commence pour notre auteur une période d'errance à travers l'Europe avec pas mal de commandes médiocres, de collaborations partielles. Outre I Girovaghi, original par son sujet (l'arrivée du cinéma met en péril les activités d'un marionnettiste itinérant en Sicile) et Harry Black and the Tiger, original par son ton, mélancolique et désenchanté, à l'image de cette période, il faut surtout retenir de ce périple Seven Thunders, situé à Marseille en 1943. Sa construction parfaite, sensible tant dans l'imbrication des multiples personnages et événements, dans la cohabitation de tons extrêmement variés que dans une symbiose étonnante entre l'histoire collective et les destins individuels, en fait un modèle de narration cinématographique qu'on pourrait proposer comme sujet d'analyse et d'étude aux écoles de cinéma du monde entier. Cette période décevante pour son auteur aboutira à son retour en Argentine où il réalisera deux films relativement originaux et différents: La mala vida (1972), tableau de la pègre argentine dans les années vingt et trente dominé par la lutte entre Français et Juifs Polonais et plein de scènes osées et cruelles, puis Mas alla del sol (1975), apologie assez pâlotte d'un pionnier argentin de l'aviation, Jorge Newsbery, homme aux mille talents et aux mille appétits, venu sans doute un peu trop tard dans la filmographie de l'auteur.

À travers ce parcours sinueux, quel est le statut de Fregonese en tant qu'artiste? C'est celui, disons-le tout net, d'un esthète et d'un formaliste qu'intéresse avant tout la recherche de solutions formelles originales pour décrire des situations et des contextes eux-mêmes originaux. Comme esthète, il a pratiqué plus qu'un autre l'alternance. L'alternance, telle que codifiée et même ressassée par un Montherlant, est une notion discutable sur le plan moral: elle invite par exemple à se montrer tour à tour menteur et ami de la vérité, férocement ambitieux et dédaigneux des vanités du monde, actif et vantant les mérites de la paresse, etc. Sur le plan esthétique par contre, elle peut être autrement inspiratrice et féconde, poussant celui qui la pratique à oser de grands écarts vertigineux, à risquer des contrastes saisissants. Prenons par exemple, dans sa période hollywoodienne, deux westerns de Fregonese, Apache Drums et Saddle Tramp. Impossible d'imaginer, à l'intérieur du genre, deux oeuvres plus différentes. La première violente, exacerbée, baroque, met en place une stratégie de la cruauté, présente peu ou prou dans tous les films de l'auteur, qui se déploie ici dans un long paroxysme multicolore et frénétique. L'autre calme, tendre, douce, aux allures de conte pour enfants, où néanmoins l'ironie constamment sous-jacente du conteur exprime une vision sceptique et malicieuse de la crédulité humaine qui donne une substance à toutes sortes de légendes et superstitions.

Même contraste et même opposition entre les deux films policiers et carcéraux que Fregonese a réalisés: My Six Convicts où il pousse très consciemment l'optimisme et l'idéalisme jusqu'à une sorte de naïveté, et Black Tuesday dont la violence plonge les personnages dans une atmosphère d'asphyxie morale et fatale à laquelle il leur sera impossible d'échapper. Cette alternance a lieu parfois dans le même film. C'est le cas de One-way Street, cette oeuvre si étrange dans son aspect paradoxal de testament prémonitoire, film diurne et nocturne, film noir et solaire à la fois. Tout Fregonese y est présent: l'Argentin, l'Hollywoodien, l'homme de nulle part; le peintre d'espaces brûlés de soleil et le maître des lieux clos et étouffants qui ont si souvent stimulé son talent de metteur en scène. Et personne n'a mieux filmé que lui le regard cristallin de la trop rare Marta Toren, l'une des plus belles étoiles filantes de l'Histoire du cinéma.

En tant que narrateur, Fregonese est plus proche du nouvelliste que du romancier, et son habileté de conteur l'a amenée plus d'une fois à entremêler dans la densité d'un récit très ramassé et dans un nombre de lieux très limité les fils d'une intrigue qu'un cinéaste moins doué eût préféré démêler à travers un vaste roman. Mérimée aurait aimé, par exemple, la structure de The Raid: petit récit guerrier où une action brève, rectiligne et sans graisse vire à la fin au cauchemar. Car il est vrai que malgré son ironie, son goût de l'alternance, son désir ? inabouti ? de filmer des comédies, c'est le noir et le cauchemar qui triomphent le plus souvent chez Fregonese.

Pessimiste et exigeant, cet homme modeste qui ne voulait jamais se mettre en avant, n'était pas satisfait de lui-même ni de son parcours. Rencontré et interviewé en 1966, alors qu'allaient s'achever son errance européenne et son oeuvre, il maudissait Hollywood où l'on aurait pourtant préféré le voir rester plus longtemps. Il était fier, certes, d'être surnommé, pour sa rapidité d'exécution, le Speedy Gonzales de la cité du cinéma, fier aussi qu'Apache Drums fût montré en exemple, à la Universal, de ce qu'on pouvait réussir avec un tout petit budget. Néanmoins, lui qui savait si bien utiliser les contraintes d'un système, les limites d'un devis, il aurait rêvé de plus de liberté et d'ampleur pour ses projets. En définitive, malgré les vicissitudes de sa carrière, une dizaine de films porte sa marque indélébile, celle d'un esthète de la cruauté, qui la faisait surgir à tout moment, et notamment quand on s'y attendait le moins, dans des récits très divers et toujours extrêmement soignés sur le plan plastique, entrecroisant de manière insolite l'épopée et l'élégie, le conte fantastique et le film noir, la chronique historique et le mélodrame.

Jacques Lourcelles

Um comentário:

Anônimo disse...

Muy buen resumen breve de Fregonese, aunque yo creo que subvalora "Harry Black and the Tiger" o "Blowing Wild", por ejemplo. ¿De dónde procede, del programa de la Cinémathèque Française?
Miguel Marías

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