[Nota bene: Avec une belle régularité, tout au long de l’article, le titre du film est orthographié «Barry Lindon». Lire en fait «Barry Lyndon»...] Il y a toujours eu une profonde moralité, à la fois mercantile et humaniste, du cinéma hollywoodien, selon laquelle une fiction ne doit jamais travailler à perte, qu'elle doit être, de quelque manière, édifiante. On s'en aperçoit aujourd'hui, avec le film catastrophe, où le gâchis d'argent, de décors, de talents, est compensé par un gain inouï, inestimable: face à l'apocalypse déchaînée sur l'écran, il se pense obscurément, du côté des spectateurs, quelque chose comme « nous ne sommes qu’un ». Unanimisme du spectacle hollywoodien, exigence d'un assentiment profond, moral, sentimental, à des idéaux collectifs dont la fiction doit (c'est sa règle, sa loi) assurer au spectateur le bonheur de la rencontre. En apparence, Barry Lyndon est fidèle à cette grande norme hollywoodienne. Sa fiction, qui se déploie en une vaste fresque historique, peut passer pour porter une moralité - l'ascension et la chute d'un arriviste - comme support d'une méditation pessimiste, distante et hautaine, sur les grandes valeurs du monde. De quoi faire crédit à Kubrick d'être un grand auteur crépusculaire, et son film un testament, un recueil de pensées sur le monde: un beau cadeau pour les spectateurs, et les critiques, en fin de compte. Or, c'est un film qui se dérobe de toutes les manières possibles. D'abord, visiblement, par un excès d'hétérogénéité dans sa forme, contraire au réalisme hollywoodien: les tableaux, les plans, ne cadrent pas les uns avec les autres, les uns par excès de picturalité, les autres par excès de vérité archéologique. Ces distorsions ne sont pas décoratives, en tout cas n'ont rien à voir avec le décoratisme hollywoodien, qui est toujours utilisé soit dans le sens de magnifier, scéniquement, les personnages, soit d'enrichir les fonds de notations historiques, de personnages secondaires, à leur avantage, à celui de cette glorieuse figure féodale qu'est la star. Visiblement, dans Barry Lyndon, le luxe des plans ne sert pas les personnages, ne les encadre pas dans une posture glorieuse. Leur richesse tendrait plutôt à accentuer le peu (ou le moins) de gloire de cette histoire, à marquer d'un accent de dérision les personnages et leurs actions. Mais surtout, l'excès de vérité archéologique, l'hyperréalisme des scènes de genre (le parler, le maquillage, les manières d'époque), loin de leur donner l'accent de la désuétude et le charme de l'imagerie rétro (la jouissance des maîtres d'un autre temps), les affecte d'un coefficient d'étrangeté (ethnographique): celui de séquences sociales, de rites, de codes dont le sens serait perdu. De valeur nulle, donc, pour le spectateur, au regard du pouvoir de l'Imagerie rétro d'évoquer au passé la jouissance des maîtres, et d'être au présent le signe de leur gloire, voire son message: pour autant que la mode rétro, en tant que valeur sociale, a bien le sens, aujourd'hui, d'une promesse - celle de la perpétuation d'un plus - de - jouir, marquée symboliquement par une resacralisation des valeurs de luxe de la bourgeoisie.evenir lui-même un aristocrate, en pure perte. L'étrangeté de l'histoire tient moins à cette thématique de la carte truquée, de la mésalliance et de la mauvaise fortune, qu'au fait que le film se déroule sous le signe du trucage, de l'étrange, du semblant, pour s'achever sur la non-reconnaissance, la mutilation, la folie, et que son écriture, l'angle d'attaque et la ligne de fuite de chaque séquence, la tournure du récit font surgir des situations un supplément de frayeur. L'irruption des masques effrayants et grotesques, de la violence, de la mort, la prise du personnage dans un réseau de machines sociales infernales et de procédures où il se perd sans le savoir, se font aussi dans des opérations d'écriture à fond perdu, d'un catastrophisme secret: la parade militaire, la rencontre avec le chevalier, la mort de l'enfant, la signature, déroutent par l'indécidabilité du sens du rictus de l'officier, du masque poudreux, du visage martien, et pour finir, d'un acte juridique transi par la folie. Il ne s'agit pas d'opérations registrables par le spectateur dans les termes d'un gain de connotation, de recul critique par rapport aux personnages, ou de dérision par rapport au mélodrame, et à la scène hollywoodienne, mais de sursauts d'ironie qui touchent le spectateur au vif de sa conviction: qu'à défaut d'une moralité de situations (compromise par la vacuité psychologique des personnages), il peut compter sur une moralité du récit, sur une juridiction de son sens, qui fait défaut aussi. Chaque fois qu'il y va de la rencontre (de la tuchè), les masques s'imposent comme figures de non-sens, chaque fois que le récit en vient au moment de proférer sa moralité, la platitude des images, du commentaire off, la dérobe. Jean-Pierre OUDART Cahiers du Cinéma, n° 271, novembre 1976. Pages 62-63.
quinta-feira, 25 de maio de 2006
sábado, 20 de maio de 2006
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sexta-feira, 19 de maio de 2006
MISSION TO MARS de Brian de Palma / 2000
"J'ai trouvé que cette histoire relatant l'évolution de la vie sur Terre, à partir d'éléments qui auraient dérivés de la planète Mars, en guise de graine originelle, était passionnante. Cela m'offrait l'opportunité de faire un film d'aventures spatiales bien plus réaliste que ce que l'on voit depuis quelque temps. L'un des films de mon enfance dont je me souviens, avait pour titre "Destination Lune" (film américain de science-fiction (1950) de Irving Pichel interprété par John Archer, Warner Anderson et Erin O'Brien-Moore) et il était très précis par rapport au thème du voyage dans l'espace. "2001" me semblait lui aussi très rationnel, très réaliste sur ce sujet, puisque sa rigueur allait jusqu'à respecter les lois de la physique. C'est dans un esprit similaire que je souhaitais aborder ce projet, mais également illustrer l'une des nombreuses théories liées à la planète Mars, à son histoire et à sa relation avec notre propre planète." (*1)
Dans la suite de l'entretien, le cinéaste Brian De Palma évoque ses choix artistiques concernant la fin du film et la "fameuse" rencontre, tant, à tort, décriée, moquée, huée (*2) : "Pour moi, c'était une question de foi. Si vous abordez un tel film sans y croire, vous ne pourrez pas éviter ce que vous venez d'évoquer. (le journaliste faisait référence aux propos de spectateurs et critiques qui parlaient de "sensiblerie" voire de "caricature" lors de l'arrivée du Martien) Il fallait privilégier l'idéal de pureté qui accompagne ces types lorsqu'ils partent dans l'espace. Je pense que c'est peut-être le seul challenge demeuré intègre pour l'humanité. Ces hommes sont héroïques, surentraînés, dédiés à leur cause. Ils accomplissent un acte dont ils ne pouvaient que rêver auparavant. Lorsqu'ils arrivent sur ces lieux où nous ne mettrons jamais les pieds, et découvrent des choses que nous ne verrons jamais, il en résulte pour eux une vision quasi-mystique. J'en ai discuté avec de nombreux astronautes qui ont pu me le confirmer. Si vous abordez tout cela comme certains critiques l'ont fait aux USA (malheureusement les critiques françaises, à l'exception notamment des revues Les Cahiers du cinéma, Positif et L'Ecran fantastique, ont également raillé cette fin pourtant admirable) vous en aurez une perception ridicule car cela ne fonctionnera pas pour vous. Je n'ai pas voulu faire de sensiblerie mais simplement mettre en évidence la façon d'être profondément authentique de ces gens. C'est une science pure."
Il n'est jamais très facile d'évoquer Mission to Mars sans penser aux critiques qui se sont déchaînées contre ce film. Brian De Palma fut accusé d'avoir pillé le film de Stanley Kubrick et d'avoir mis en scène une fin d'une mièvrerie sans précédent. D'autant que le film est considéré comme une commande pour son auteur sur lequel, il est exact, il est arrivé tardivement après le désistement du réalisateur Gore Verbinski. Autant écrire que même certains des plus ardents défenseurs du cinéaste n'ont que très moyennement apprécié cet opéra spatial. Présenté au Festival de Cannes hors-compétition, le film avait également déclenché de nombreux sarcasmes dans le public notamment lors de l'apparition de la Martienne. Quant aux critiques américaines et françaises, hormis les trois revues (et peut-être d'autres) citées précédemment, toutes ont fait de Mission to Mars le nanar de l'année couronné d'une citation aux Razzies Awards. Le public, par ailleurs, refroidi par l'accueil catastrophique du film, ne se précipita nullement dans les salles.
L'engagement de l'étude qui va suivre est de porter un regard objectif sur le film, avec un recul de cinq années, ce qui me semble nécessaire afin d'appréhender et de commenter à nouveau une œuvre tant décriée. Je n'ai nulle intention de convaincre les réfractaires, encore moins de proposer une succession de louanges dithyrambiques au film, ce qui nuirait considérablement à mon travail de commentaire et d'analyse. Mon objectif est de proposer une étude analytique se concentrant sur tous les thèmes abordés par le film et de le replacer au sein de l'œuvre de Brian De Palma. Car sous ses aspects purement commerciaux, se cache derrière Mission to Mars un authentique trésor d'une belle richesse cinématographique et thématique, qui ne s'entretient rien d'autre qu'avec des thèmes humanistes et universalistes, mais aussi et surtout, avec la plupart des obsessions de son auteur: les rêves de l'enfance et le réalisme du temps, la perte de l'être aimé, la loyauté et le dévouement, la métaphore cinématographique, l'imaginaire et les images de l'esprit. Car le film ne parle de rien d'autre que de deux thèmes universels: la concrétisation des rêves de l'enfance et la foi en l'amour.
Des rêves de l'enfance
N'y a-t-il rien de plus beau et de plus émouvant que de voir un enfant, un soir de Noël, ouvrir l'un de ses cadeaux et de contempler, brillant dans ses yeux, une émotion nouvelle qui lui donnera l'envie d'appréhender l'univers comme un tout. L'une des images, l'un des souvenirs qui hante l'esprit de Jim McConnell alors qu'il s'apprête à retrouver sa femme à l'autre bout de l'univers, est celle-ci. L'enfance, son premier jouet, une fusée spatiale, son premier songe de découverte, sa foi en son envie de devenir un astronaute et de parcourir le ciel, l'espace, les étoiles et de vivre, avec des émotions simples, le rêve de tout homme. Car, lorsque Brian De Palma, lors de la scène dans le planétarium, effectue un très long travelling arrière, il part des yeux remplis d'émotion des personnages pour s'achever sur les milliards d'étoiles qui parsèment l'espace.
Car tout le film se fonde sur cet esprit de découverte, sur les rêves de l'enfance. C'est une aventure humaine que nous décrit Mission to Mars, tout simplement, qui puise son origine dans l'imaginaire de l'enfance. A l'image de la petite fusée en plastique envoyée dans le ciel, le soir de la fête de départ du premier équipage pour Mars. Une illusion qui s'entretient avec des envies épanouies de parcourir un autre monde, une autre forme de vie humaine ou végétale, ce désir de pouvoir transcender les lois de l'imaginaire. Une illusion, une petite fusée qui en explosant laisse jaillir un feu d'artifices de couleurs, qui traduit ce que le cinéma de Brian De Palma a de plus allégorique. Mais dans le cas présent, cette ouverture spectacle, magique au sens le plus pur du terme, ne cache pas une histoire cynique. Elle explicite la beauté d'un instant où les rêves les plus enfouis des hommes vont enfin se concrétiser d'ici quelques heures. Car le cinéaste aime faire commencer ses films par des images illusoires, trompeuses ou des rêves et cauchemars (le jeu télévisé de Sisters, le rêve sexuel de Pulsions, la série Z de Blow Out, un autre tournage de série Z dans Body Double, un écran vidéo dans L'Esprit de Cain). Le cinéma de Brian De Palma s'entretient avec les rêves et les cauchemars, les illusions et les images, mais aussi et surtout avec l'interpénétration de ceux-ci dans une réalité bien concrète, parfaitement établie.
L'ouverture de Mission to Mars, une fête d'astronautes autour d'un barbecue, traduit toute l'idée autour de laquelle s'articule le film: la simplicité et la foi en une croyance. Le cinéaste a refusé de montrer l'entraînement des astronautes car il ne souhaitait pas faire une apologie. Il désirait simplement nous conter une histoire d'hommes qui vont être confrontés à leurs rêves, mais aussi au danger. C'est une aventure grandiose et humaine. Aussi, en un long plan séquence, le cinéaste nous dessine le portrait de plusieurs femmes et hommes qui discutent de leur vie quotidienne, de leurs aspirations et attentes, tout en conservant à l'esprit leur mission prochaine. La petite fusée qui symbolise l'enfance a explosé en plein ciel. A présent, ils sont tous confrontés à leur propres choix mais avec une excitation jouissive de partir, enfin.
Jim McConnell arrive en retard à cette soirée en l'honneur des partants de la première mission, car sa femme est décédée peu avant le départ. Cette dernière aussi s'était entraînée afin de s'envoler vers Mars. Jim arrive à la soirée et évoque sa souffrance, son rêve brisé de pouvoir conquérir Mars avec sa femme. La perte de l'être aimé est un autre thème récurrent de l'œuvre de Brian De Palma. Deux fois le film abordera cette obsession tragique du cinéaste, avec le suicide de Woody Blake afin de sauver ses amis alors que la sonde est en perdition. Deuxième déchirement après celui vécu par Jim McConnell. La mort précoce de la femme de Jim a mis des doutes dans sa foi. Il se refuse à partir, en même temps qu'il désire lui rendre hommage en accomplissant la mission. Cet homme blessé ne cessera de se vouer à son amour, et de retrouver par son deuil et tout au long du voyage, sa croyance en son idéal. Car il garde secret au plus profond de son âme, un espoir, celui de pouvoir la rejoindre à l'autre bout de l'univers. Tout son investissement, tout son courage, tous ses désirs de poursuivre cette épopée, se nourrissent de cette impénétrable foi en l'amour. L'innocence d'un enfant qui croit en ses rêves se concrétise à présent en une croyance qui permet à Jim de surmonter toutes les épreuves afin de s'unir pour toujours avec la femme aimée.
Le film se fonde sur l'imaginaire de l'enfance, car il ne cesse d'évoquer et d'invoquer l'accomplissement du rêve et de la foi à travers un regard qui se voue autant à l'inaccessible qu'à l'inimaginable. Ce qui peut apparaître comme terriblement naïf révèle en fait toute la sincérité de son auteur qui croît en la capacité de l'homme à transcender l'imperceptible en une connaissance, par la conscience, de l'imaginaire, en dépassant toutes les lois de la raison pour tendre vers la fable. Alors que le réalisme quasi documentaire du film s'entretient avant tout avec le rationalisme du monde des adultes, toute la dernière partie qui se déroule sur Mars, au sein de ce planétarium, est dédiée à la fable utopiste qui se fonde sur les croyances de l'enfance. Ce qu'il y a de sensible dans ce film, ce n'est nullement la caricature qu'ont pu évoquer la plupart des critiques. Bien au contraire, c'est l'existence de ses propres croyances. Tous ces astronautes, comme l'évoque le cinéaste, croient en leur mission car ils ont la foi de découvrir une beauté qui n'appartient pas aux lois de notre monde. Ils ont la conviction de pouvoir partir à la rencontre d'une nature différente, avec laquelle ils pourront nouer un contact. Le cinéaste opère une transition cinématographique qui rompt avec l'aspect réaliste de la mission dans le vaisseau, mais qui, au final, ne fait que créer ce que tous avaient pu imaginer. D'autant qu'il y a une identification avec la Martienne qui apparaît comme la mère de tous les hommes et propose de s'unir dans la foi de l'humanisme universaliste.
Entre la trace dessinée par le pied de Jim, au début du film, sur la terre et la rencontre avec la Martienne, il n'y a finalement qu'une seule et même croyance: laisser une marque de son passage afin de perpétuer, après avoir appris et créé, s'enchaînant sur une ellipse saisissante avec la vue du sol martien. Concrétisation d'un fantasme, d'une espérance.
De l'union et de la filiation
Mission to Mars se fonde sur un autre thème récurrent du cinéma de Brian De Palma: l'union et le transfert. Dans Pulsions, lorsque Kate Miller est assassinée dans l'ascenseur par "Bobby", la porte s'ouvre à un étage. La jeune prostituée interprétée par Nancy Allen découvre le corps gisant qui lui tend la main, afin qu'elle puisse l'attraper et la sauver. Cependant, le plus frappant dans cet instant est le regard des deux femmes qui se contemplent. Le cinéaste insiste sur les yeux de chacune d'entre-elles et nous comprenons à ce moment qu'il y a un transfert. La jeune femme est chargée par la victime de découvrir son meurtrier. Même constat dans Furie où Amy Irving est chargée de venger le fils de Kirk Douglas ou bien encore entre Jim Malone et Elliott Ness dans Les Incorruptibles. Dans l'œuvre de Brian De Palma, le transfert des volontés passe par l'union et la filiation. Dans Mission to Mars, plusieurs scènes reprennent ce schéma narratif. Si dans les films cités ci-dessus, le transfert se fait toujours des plus anciens vers les plus jeunes, celui-ci est différent dans Mission to Mars dans la mesure où il offre une autre dimension, ne se fondant nullement sur la parenté (filiation parent-enfant) mais sur l'union amoureuse, s'inscrivant dans la logique thématique du film.
• L'évocation du souvenir de la femme de Jim. Elle a chargé son mari, avant de mourir, de poursuivre son rêve par sa présence, sa mémoire. L'union n'est pas scindée et demeure à travers les pensées et la croyance.
• La première mission est décimée par le vortex (phénomène électromagnétique) et le transfert se fait par l'intermédiaire des informations fournies par les ordinateurs.
• Il y a une composition de l'union par la danse en apesanteur. Les corps en mouvement perpétuel se touchent, se croisent, évoluent dans un instant qui n'est pas soumis aux lois. Il y a une forme de libération des esprits et des corps dans un contexte réaliste et métaphorique. D'autant que c'est Terri et Woody qui s'adonnent à cette danse qui symbolise toute la beauté de ce couple, idéal aux yeux de Jim. Réalisme, car le cinéaste a filmé dans une centrifugeuse (à la différence de Stanley Kubrick qui a filmé en apesanteur) dans une situation qui le demande (la roue gravitationnelle) et métaphorique, car en ce court instant, les personnages substituent les difficultés du voyage à une nouvelle plongée dans leurs rêves. Il y a un oubli de la condition au profit de l'émotion humaine pure.
• Le suicide de Woody lors de son sauvetage avorté. Sa femme lui lance le câble de survie, mais celui-ci est trop court et l'astronaute ne peut le saisir. Il y a rupture dans l'union maritale, mais le cinéaste effectue un parallélisme avec l'état de Jim. Woody se sacrifie pour la vie de sa femme. Il y a un transfert de la foi. Woody et Terri qui offraient dans le vaisseau tout le calme et la plénitude face à l'omniprésence du danger (la pluie de météorites).
Dans le planétarium, la Martienne humanoïde demande à tous les protagonistes – et notamment à Jim - de se donner la main et de faire un cercle autour de la Terre. C'est une union humaniste et universaliste autour d'un absolu, d'un tout.
• La nouvelle union entre Jim et sa femme, alors qu'il est plongé dans ce liquide avant sa montée dans le vaisseau qui l'amènera vers sa femme. Il y a deux plans bouleversants, d'une absolue beauté par leur simplicité et leur nécessité: le levée du voile de mariée de la femme de Jim puis le contre-champ sur le regard de Jim qui comprend qu'il va la rejoindre pour l'éternité.
La perte de l'être aimé
Elle est une obsession majeure dans le cinéma de Brian De Palma. Depuis ses premiers films, Phantom of the Paradise (Winslow Leach ne pourra jamais aimer Phénix car, défiguré, il a dû pactiser avec Swan), Obsession (Courtland doit se résoudre à la mort de sa femme), Blow Out (Jack Terry ne pourra sauver Sally), la perte de l'être aimé hante l'œuvre du cinéaste. Dans Mission to Mars, le cinéaste en propose deux lectures:
• La première est celle de Jim qui a perdu sa femme peu avant le départ de la mission. A l'image de Courtland, il culpabilise mais ne sombre nullement dans l'obsession. L'optique résolument plus optimiste du cinéaste le conduit à transformer ce deuil en une foi. D'autant que Jim a la conviction intime de pouvoir la rejoindre au cours de ce voyage.
• La deuxième est en revanche plus tragique: il s'agit de celle de Terri qui ne pourra pas sauver Woody, lors de la tentative de récupération du Remo dans l'espace. Woody sacrifie deux fois sa vie: pour sauver son équipage en accrochant le câble de survie au Remo puis, alors qu'il dérive dans l'espace, il retire son casque, afin que sa femme ne prenne pas de risques pour le sauver, se sachant condamné.
L'omniprésence de Maggie dans l'esprit de Jim n'est jamais traitée par le cinéaste sur un mode pessimiste, plutôt fondée sur l'espérance. En revanche, le double sacrifice de Woody pour ses amis et sa femme relève du romantisme tragique, qui clôt Blow Out. A la différence que Brian De Palma inverse les rôles: ce n'est plus l'homme qui perd sa femme, mais le contraire. D'autant plus qu'au contraire de Jack dans Blow Out, Woody ne se sert pas de sa femme afin de l'aider à résoudre une énigme. Le cinéaste a volontairement déplacé sa lecture du romantisme tragique afin de faire de ce sacrifice une douleur humaine dénuée de tout cynisme. Brian De Palma évoque la souffrance la plus intime, le deuil, la séparation d'un couple, le don de soi, l'éternité par la glaciation du visage de Woody. De même, le cinéaste privilégie les longs plans sur le regard qui traduisent toute la détresse des cœurs et des âmes en pleurs. De longs moments de cris, de déchirements.
Dans le cas de Jim, ses retrouvailles avec Maggie passent par un long voyage et le défilement des images de la vie. Le cinéaste plonge son personnage dans un liquide afin de donner une dimension biblique, fondée sur le thème de la résurrection par l'amour, à son personnage. En quittant le monde de ses amis, il revoie tout le film de sa vie et celui de sa femme. De l'enfance (l'ouverture des cadeaux avec la fusée, Maggie enfant qui regarde Mars à travers son télescope), à la vie adulte (célébration des anniversaires, les moments forts du couple, avec l'entraînement, la joie de vivre, la concrétisation du rêve) jusqu'au mariage avec la dernière image de cet album souvenir de sa vie: la levée de voile de Maggie. Une nouvelle union entre ces deux personnages, une deuxième chance, un amour retrouvé, désespéré avant le départ vers Mars et célébré au moment de cet envol vers une galaxie plus lointaine.
La métaphore cinématographique
Toute l'œuvre de Brian De Palma s'entretient avec le cinéma, la mise en scène, l'illusion et la métaphore du cinéma par les images et les rêves. Mission to Mars s'entretient avec les rêves. Nous l'avons déjà expliqué. Dans tous ses films, le cinéaste ne cesse d'explorer les multiples possibilités d'appréhender et de comprendre le cinéma par les diverses potentialités de lecture d'une image cinématographique, à travers le fantasme voyeuriste (Carrie, Body Double), les faux commencements par le film dans le film (Blow Out, Body Double), les images de télévision (Hi Mom, Sisters, Snake Eyes), d'un écran vidéo (L'Esprit de Caïn), les cauchemars ou les rêves pervertis (Pulsions), la mise en scène d'une situation de simulation (Mission impossible), la mise en scène théâtrale (Dionysus in 69'). Mission to Mars n'est pas un film qui s'entretient avec le cynisme ni avec aucune forme de manipulation. Puisque les exemples cités précédemment s'entretiennent avec la volonté du cinéaste de démontrer au public que le cinéma et les images cinématographiques sont manipulées, manipulatrices et proposent la multiplicité des points de vue en même temps que leur propre éclatement en fonction des interprétations possibles.
Mission to Mars se refuse à ce constat, à cette théorie. La première "fausse" image du film, une fusée en plastique lancée au-dessus du jardin de la fête de départ démontre certes, que le cinéma est une illusion à travers la représentation de la réalité dans un film (thème récurrent dans l'univers du cinéaste, la confrontation du rêve et de la réalité sous forme de métaphore rêve et réalisme; comment traduire la réalité par des images illusoires et le montage; le cinéaste essaie ainsi de traduire le plus fidèlement possible des moments de réalité par les plans-séquences, qui ne sont pas montés et par lesquels l'image enregistre, sur une durée définie, une certaine forme de réalité puisque là encore la caméra filme une réalité mise en scène). Dans le cas présent, la petite fusée "feu d'artifices" symbolise la pensée du film, liée à l'enfance, aux rêves et aux croyances qui animent l'esprit de ces hommes et femmes. Cette fusée miniature s'entretient avec le cadeau que reçoit Jim dans son enfance.
La métaphore cinématographique du film se situe lors de la toute dernière partie et prend une dimension cinéphilique et absolue, car elle réunit sous la forme d'une quintessence tous les liens qui y sont rattachés: l'image cinématographique comme illusion, le film comme projection mentale issue de ses émotions, de ses sentiments, de ses pensées, de ses rêves, la foi en son idéal, le spectacle et la mise en scène. D'autant que lié à la mythologie martienne, le planétarium apparaît dans un visage.
Jim, Terri et Luke pénètrent dans le visage. Une salle immense, blanche, les entoure. Ils retirent leur casque. Ils peuvent respirer normalement. A ce moment s'ouvre sous leurs yeux une autre porte, large, rectangulaire et apparaît un écran noir, l'infini. La métaphore du commencement d'un film en même temps que la pénétration dans un rêve est évidente. Les trois personnages s'avancent et se rendent compte qu'il s'agit d'un planétarium. Ils cèdent à la réalité pour s'introduire dans un monde cinématographique qui répond à toutes leurs interrogations, à tous les fantasmes, à toutes leurs croyances. Ils sont au cœur de leur propre esprit en même temps que celui de la mythologie martienne. Ils évoluent au sein même d'une utopie qui s'est concrétisée par leur regard, car elle est le remerciement à leurs croyances. La frontière séparatrice entre le rêve et la réalité/le film et le réalisme est abolie. Plongés dans un état de rêve éveillé, à présent, ils vont rencontrer celle qui est présentée comme la Mère de tous les hommes. Afin de renforcer plus encore l'aspect onirique, d'images mentales/cinématographiques, projetées, le cinéaste crée la Martienne sous une forme numérique, afin d'en faire une représentation symbolique. Lorsqu'elle montre aux trois personnages la création de la Terre, Brian De Palma propose à ceux-ci de tendre et de rejoindre l'espèce originelle, quelque part dans l'univers. Ce départ/retour vers celle-ci passe par une immense boule d'énergie électromagnétique qui doit les propulser vers l'hyper-espace. En faisant de sa Martienne un personnage humanoïde, le cinéaste explique en quoi, par la création onirique des planètes de cette séance à la rencontre de la découverte de l'origine de la vie sur Terre, elle et eux ne font qu'un. Enfin, la morphologie de la Martienne se rapproche des ADN mutuels des hommes (symbolisés dans le film par un autre "jouet" lié à l'enfance, à l'innocence, des "M'n'Ms") et explique en quoi elle leur propose ce voyage à travers le temps.
Seul Jim acceptera, car il désire retrouver Maggie. Tout au long de ce film de la vie, il y a une initiation des personnages à la compréhension de l'univers. Le cinéaste expose une théorie parmi d'autres, mais en laquelle il croit fermement comme le confirment les différents entretiens qu'il a accordé aux journalistes et critiques. Cette boule d'énergie qui conduira Jim à bord de son vaisseau vers l'hyper-espace se concentre à partir de l'esprit de l'immense visage mythologique, ce qui ne peut que confirmer l'évolution dans un esprit.
Brian De Palma reprît encore plus explicitement cette métaphore de l'écran de cinéma et de la pénétration dans un film, dans une autre de ses œuvres qui s'entretient également avec l'onirisme, Femme Fatale. Lors de la première scène filmée en plan-séquence (puisque Femme Fatale est construit en une multitude de plans-séquences pour chaque scène; notamment dans le bureau de l'ambassadeur, au commissariat), Laure et Black Tie sont dans la chambre d'hôtel et ce dernier lui explique une ultime fois l'organisation du vol de bijoux. Alors que le monologue du personnage se termine, il relève un immense rideau, très large et laisse apparaître le Palais des Festivals de Cannes et la montée des marches. La caméra s'approche et franchit la baie vitrée: il y a une première pénétration dans le rêve/ rêve cinématographique de Laure.
De la contemplation des corps en mouvement et de l'immensité
"Vous avez eu recours à de tels effets de caméra pour la très longue séquence de générique du début où le regard passe successivement d'un protagoniste à l'autre: cela avait-il pour objet d'impliquer d'emblée le spectateur dans le récit?"
Brian De Palma:
"C'est sans doute le seul moment où je pouvais faire un tel plan, car nous étions sur un site naturel réellement spacieux, et cet espace permettait à chacun des personnages d'évoluer naturellement, et donc de se dévoiler aux yeux du spectateur qui capte ainsi rapidement leur tempérament dans leur façon de se comporter sur Terre durant les ultimes moments qu'ils y passent avant de s'envoler pour Mars." (*3)
Le cinéaste contemple, fasciné, des corps en mouvement, libérés de toutes contraintes et filme le chevauchement, l'évolution de ces hommes et de cette femme, en apesanteur, s'adonnant à la liberté la plus absolue de pouvoir se mouvoir, posséder, transmettre. La caméra de Brian De Palma également en apesanteur et libérée des contraintes techniques, capte cette magie en refusant l'empressement, en rejetant l'immédiat afin d'immortaliser, de poétiser, la fluidité de la gestuelle, la pureté visuelle et l'imagination de l'extension des formes. Le cinéaste s'applique à créer des équivalences visuelles par le flottement de la caméra autour des personnages en apesanteur. Les personnages, notamment lors de la scène de la danse, flottent et volent dans le vaisseau et revendiquent la libération de leur corps par un rejet constant de l'enchaînement. Brian De Palma filme le réalisme de la situation en la transcendant par des représentations visuelles qui tendent vers une forme contemporaine de réalisme poétique. Cette navette spatiale déshumanisée et glaciale prend vie par la recherche visuelle, la fluidité, la pureté des mouvements de caméra. Aussi et surtout, par le bouillonnement de vie de ses personnages. Autant la souplesse des corps que la rapidité des réactions (lors du sauvetage du Remo) sont filmées avec cette constante fascination pour l'évolution des corps dans l'espace. Car le cinéaste y saisit la découverte de l'inconnu par un émerveillement perpétuel devant l'absolue liberté, face à l'immensité de l'univers. Brian De Palma saisit l'émotion la plus pure, la plus authentique, la plus humaine et ses lents mouvements de caméra se doivent de la capturer et de la diffuser, afin de donner vie et substance à Mars, à l'espace, et à faire de ses personnages des êtres humains qui alternent avec humanité et courage, l'héroïsme et l'intimisme.
Le cinéaste sait que c'est par l'intensité du regard que se traduit le mieux la découverte de l'inconnu. Par conséquent, afin de traduire cette vision unique, devant la magie et le mystique, Brian De Palma s'attarde longuement sur tous les regards, celui amoureux de Terri pour Woody et inversement, celui de Jim émerveillé par la foi en sa mission. Brian De Palma déclara dans la revue Cahiers du Cinéma lors de la sortie du film (*4): "Ce que j'ai essayé de restituer dans Mission to Mars, c'est montrer qu'il y a quelque chose de magique dans ce qu'ils ont vu (les astronautes) et faire vivre au public une expérience qu'il n'a jamais eu l'occasion de vivre."
Si le cinéaste sait traduire la contemplation devant l'immensité, il représente également le danger devant une nature qui peut également être hostile à celui qui la découvre et la pénètre. C'est précisément le cas avec la première mission, décimée par un vortex géant. C'est aussi la puissance sans limite aucune de l'espace; Woody ne pourra plus rejoindre ses compagnons car sans carburant pour la propulsion de son scaphandre, il est condamné à errer sans fin. Brian De Palma nous propose une réflexion sur la capacité de l'homme à s'intégrer à un nouvel environnement, sa manière de se comporter avec l'inconnu, les multiples possibilités qui s'offrent à lui, afin d'appréhender le contexte, autant la vie à bord de la navette spatiale, et ce souci permanent du cinéaste pour être réaliste (il a travaillé en étroite collaboration avec la NASA) que face aux longs déserts martiens ou bien rencontrant la mythologie martienne. Les personnages de Mission to Mars cherchent à perpétuer et à préserver la beauté de la planète en la foulant et en la chérissant. Il n'y a nulle envie de bafouer, juste le désir d'admirer et de s'acclimater à un environnement souvent hostile. Car c'est par l'oxygène diffusé par les plantes qu'a pu survivre Luke (le rescapé de la première mission) pendant plusieurs mois sur Mars. Brian De Palma déclara toujours dans Cahiers du Cinéma (*5): "2001 (de Stanley Kubrick) est un grand film très froid, très élégant, abstrait et symbolique avec une mystique très profonde dont le sens est difficile à découvrir. Mission to Mars est plus simple et plus humain. Et puis Kubrick est davantage intéressé par le combat de l'homme contre la machine alors qu'ici c'est vraiment l'homme contre un territoire inconnu (…)."
En utilisant le plan-séquence lors du générique, le cinéaste a su trouver la technique nécessaire à l'expression des astronautes qui discutent entre eux, plaisantent et confient leurs angoisses et leurs rêves. Cette figure de style est la plus appropriée à rendre cet instant car elle s'inscrit dans la continuité, dans le temps long et permet une présentation des personnages qui sait éviter toutes les formes de clichés ou de catalogages. L'union intime entre la mouvance des corps lors de la scène de danse et l'expression visuelle par de très longs plans en apesanteur permet également de traduire la fluidité et le temps qui s'éternise, la joie qui déborde sur les angoisses. De même lors du sauvetage du Remo, où le cinéaste multiplie les travellings circulaires et latéraux en plongée et en contre-plongée, autour, le long et entre les personnages. Le montage se refuse à toute forme d'empressement. Il y a l'idée du calme relatif, de la léthargie contemplative, de la fascination et de l'émerveillement.
De même, lors de la rencontre avec la Martienne, autant la musique que la caméra ne cèdent à la précipitation. Quelques notes, un très lent panoramique qui épouse le regard des astronautes, une première apparition par une ombre projetée sur la planète Mars puis l'apparition par touches suggérées. Brian De Palma poursuit l'entretien (*6): "Je voulais qu'elle ait de grands membres et qu'elle bouge sans qu'on perçoive ses mouvements. Qu'elle ait un mouvement déstructuré et qu'elle ressemble à une gardienne de tour. Je ne voulais surtout pas que l'on masque qu'il s'agit d'une création digitale car cette créature est une projection. (…) C'est une pure créature digitale, une projection qui n'a rien de réaliste. Toute la scène du planétarium est une projection. C'est un grand show tels que les personnages l'imaginent. Rien d'autre. Un spectacle dont ils sont les spectateurs."
L'analogie entre l'illusion de la première image (la petite fusée) et la projection du planétarium est l'aboutissement des rêves de l'enfance. De même que le vaisseau à bord duquel Jim s'est embarqué lors de la dernière image et qui passe juste devant la navette, est la reprise de la première. Entre temps beaucoup d'aventures, de découvertes et d'émotions auront traversé l'esprit de chacun des personnages. L'aventure humaine d'une équipe d'astronautes, pionnière, se traduit par la poétisation d'un univers technologique déshumanisé (la navette) et par le merveilleux de la fable utopiste du planétarium. L'émotion est omniprésente tout au long de ce film, mais les personnages ne sont nullement des émotifs. Ce sont des idéalistes qui travaillent à l'accomplissement de leur mission tout en se nourrissant de leurs rêves. En ce sens, il n'y a aucun sentimentalisme dans Mission to Mars, uniquement l'émotion qui caractérise tout l'équipage. Le personnage de Woody a lu depuis son enfance une quantité d'ouvrages sur Mars et vit dans une mythologie. Jim ne rêve d'aller sur Mars que pour retrouver sa femme. Tous sont hantés par cette projection de fantasmes dont nous parle le cinéaste dans l'entretien accordé aux Cahiers du Cinéma, en même temps qu'ils doivent gérer une quantité inestimable d'informations.
THE END
Mission to Mars n'est pas un film de science-fiction au sens étymologique du terme. Au travers de l'aventure pionnière de ces hommes et de cette femme, Brian De Palma nous parle essentiellement de l'amour et de l'enfance en alliant le réalisme documentaire des deux premières parties du film et la fable humaniste de la dernière partie qui est la représentation des rêves de l'enfance. La contemplation d'un univers par le regard préservé du cynisme de l'équipage qui ne cesse de croire en son idéal, la fascination exercée par l'inconnu, ne cessent de traduire l'union amoureuse qui est le thème central du film. Comment un homme amoureux va-t-il rejoindre à l'autre bout de l'univers sa femme disparue. Celle qui a nourri sa conviction et consolidé son courage afin de se battre pour mener à son terme les préparations de la mission, celle qui a fait de lui un homme qui croit en sa foi, en son idéal. La beauté de regards qui s'échangent, la perpétuation d'une croyance, la métaphore cinématographique la plus absolue, la plus "parfaite" pour traduire le rêve, les aspirations, les désirs. Mission to Mars est un film sur la vie, sur l'absolue nécessité d'aimer pour grandir, créer et perpétuer. Longtemps Brian De Palma nous hantera par ses longs plans contemplatifs sur l'immensité et l'inconnu, mais aussi par sa représentation par le regard de la souffrance, du désir et de l'émerveillement à chaque instant, de la beauté de l'inimaginable. Car représenter l'inimaginable, c'est avoir su comprendre et saisir toute l'absolue nécessité de faire de l'image cinématographique le miroir de nos fantasmes. En ce sens, la splendeur éternelle de Mission to Mars est notre reflet à tous.
quinta-feira, 11 de maio de 2006
Tóquio, 1954
sexta-feira, 5 de maio de 2006
PHENOMENA de Dario Argento (1984)
Nothing is there to come
And nothing passed
But an eternal now
Does always last.
Abraham Cowley
Screw the past!
Il y a un profond malaise qui existe dans l'approche critique du cinéma de Dario Argento, et somme toute elle prend sa racine dans ce Phenomena, film qui marque pour beaucoup de ses fans le début d'une forme de décadence. Pourtant aujourd'hui encore, le cinéaste cite cette œuvre comme l'une de ses favorites. La raison d'un grand rejet par certains peut alors apparaître évidente: c'est le film d'un changement radical chez son auteur. C'est une œuvre magnifique sur la fin du cinéma d'horreur, et Argento sait sans doute déjà pertinemment qu'il ne pourra plus servir le genre comme autrefois. D'autant que le tout coïncide avec une maturité et un nouveau cheminement stylistique qui vont faire prendre à son cinéma une dimension plus résolument contemplative et expérimentale qu'analytique. Arrivé avec le très introspectif Ténèbres à une première limite de son oeuvre, la poursuite de son travail va se faire au-delà des frontières du mental et du symbolique, pour entrer dans une quête de l'invisible et de l'impalpable l'univers n'est plus clos mais devient ouvert. L'adolescence devient le corps en mutation privilégié, tandis que la sexualité et la culpabilité s'imposent comme des notions de plus en plus empruntes d'ambiguïtés. Servie par la prestation particulièrement envoûtante d'une Jennifer Connely qui sortait juste alors de chez Léone, Phenomena, par toute sa poésie, est sans doute l'un des plus beaux trips cinématographiques qui soit.
De la troisième Mater à la figure du conte
C'est sans doute pour ça que Phénomena cherche à sonner comme un film pop des années 80 pour Dario Argento, car il y a un réel désir de renouer totalement avec le public en livrant un film qui soit vu et apprécié par un grand nombre de personnes. Le travail sur la bande son, conviant de grands noms de la scènes (hard) rock et métal du moment (Iron Maiden, Motorhead, Andy Sex Gang, Bill Wyman) tient autant de l'expérimentation que d'une certaine roublardise commerciale à une bande originale compilatrice qui fasse de la publicité au film. Une technique que Don Simpson et Jerry Bruckheimer ont popularisé avec Flashdance et qui fait des émules un peu partout… Argento ne s'adresse bien sur pas au même public que les tubes FM de ces productions américaines, mais il se dit que le public jeune du cinéma d'horreur de l'époque est lié à cette musique juste en marge mais pas trop. Il est amusant de voir qu'en 1973, c'était le thème de Profondo Rosso qui était un véritable tube découlant d'un succès cinématographique. Ici Argento va chercher à créer le tube musical en amont pour lancer son film. Il se met d'ailleurs pour l'occasion à l'exercice du vidéo clip, illustrant le sublime thème de Claudio Simonetti tandis que son assistant Michele Soavi s'occupe de mettre en images The Valley de Bill Wyman.
Dario a souvent expliqué la genèse de son film par la volonté de consacrer une œuvre tournant autour des insectes, pourtant on a aussi parfois l'impression d'assister à un scénario avorté et remanié de ce qui aurait pu être le troisième volet de la trilogie des "mater", triptyque sur la sorcellerie commencé avec Suspiria et Inferno. Toutes les scènes du pensionnat et celles des larves dévoreuses de cadavres évoquent le premier film tandis que tout le final entre feu, sous terrain et séquence sous-marine renvoie aux images du second. La présence du tueur évoque quant à elle les éléments les plus giallesques du cinéma d'Argento, mais avec une lecture totalement différente de ces images instaurée par un réel changement de perspective. Phenomena tient en effet du conte de fée où Jennifer incarne une sorte d'Alice au pays des Horreurs, personnage innocent qui se voit par ses facultés paranormales projeté dans l'envers inquiétant de la surface des choses. Comme Alice, Jennifer est un personnage qui va résolument de l'avant, traversant presque les obstacles comme s'il ne pouvait en être autrement. Phenomena est un film tout entier tourné sur cette idée de déambuler vers l'inconnu, de l'inquiétude naît la beauté. On retrouve dans la structure d'autres références comme celles clairement affichées dès la scène d'ouverture, illustrant une jeune fille seule dans les bois déambulant jusqu'au chalet qui figure le repère du monstre. Phenomena s'avère ainsi une variation toute personnelle sur la peur du loup, et plus encore sur celle des parents qui abandonnent et font du mal à leurs enfants.
Décomposition de la famille, vieillesse et corps adolescents: une nouvelle approche des personnages
"Il me semble que la famille représente l'origine du mal dans notre société. Phenomena me permet de disserter de nouveau sur cette idée (…) Il suffit de voir la manière dont je traite les personnages interprétés par ma fille et par mon ex-femme pour comprendre à quel point mon film est oedipien: la mère et la fille y sont mises à rude épreuve! Il en va de même pour la fête de Noël: j'aimais beaucoup l'idée que ce symbole de réjouissances familiales soit, pour Jennifer, subi comme étant le jour du départ de sa mère. Tout le monde trouve que Noël est forcément beau et gai or ce n'est pas toujours la réalité." (1)
Dans Profondo Rosso, Dario Argento faisait déjà de la famille l'élément traumatique initial au travers d'un enfant assistant à l'assassinat de son père par sa propre mère. Noël était également au rendez-vous, puisque tout ce tableau se déroulait en face du sacro saint sapin… La représentation était alors pleine de distanciation, et c'est avec un évident plaisir sardonique que le cinéaste mettait en scène cette véritable gravure d'horreur. La Révolution pour Argento va commencer dans la revisitation de cette scène au sein de Phenomena.
Car si famille il y a, c'est de famille décomposée qu'il s'agit cette fois-ci. Argento au moment du tournage du film est en train de vivre la fin de son mariage avec l'actrice Daria Niccolodi, laquelle se retrouve étrangement ici dans le rôle obscure de Mme Bruckner, loin de l'image d'innocence et de vieille fille qu'elle tenait précédemment devant la caméra de son époux (image qu'elle reprend pendant 80 minutes dans ce film pour mieux leurrer le spectateur). Au moment où sa famille explose, le réalisateur choisit de se pencher sur les représentations de rapports très troubles et ambigus entre les parents et leurs enfants. La scène d'ouverture peut apparaître comme le simple meurtre d'une jeune fille, il résonne aussi en parallèle comme une image d'infanticide, car l'actrice utilisée est la propre fille du cinéaste, Fiore Argento.
Né d'un viol, Patau, l'enfant monstrueux et difforme, possède la voix d'enfant d'Asia Argento, l'autre fille du cinéaste, et incarne cette progéniture qui crée un sentiment ambivalent chez la mère, qui la hait mais la protège tout autant, car c'est comme un accouchement de son propre contact avec le monstrueux, sa propre folie qu'elle cherche à étouffer ("Cet enfant me préoccupe beaucoup, sa naissance a bouleversé ma vie. Je me dis parfois qu'il va me rendre folle" dit-elle ainsi à Jennifer). Prévu comme un véritable ogre au départ dans le scénario original, le père de Patau n'est dans le film plus entraperçu qu'à peine au détour d'un plan, justement pour renforcer ce dualisme entre la mère et le fils qui est le dualisme parents/enfants. Un affrontement et une haine se traduisent également à travers tout ce que peut représenter le pensionnat où Jennifer est enfermée, son caractère oppressant et rigide, proche de la prison voire de l'hôpital psychiatrique, lorsque notre héroïne doit y subir plusieurs tests sur sa santé mentale.
En tuant sa fille Fiore à l'écran, Argento a fait du thème trouble de la famille quelque chose qui se rattache directement à lui, le créateur. L'assassin de Ténèbres était un auteur de romans policier et une projection du cinéaste Argento lui-même. Ce film était un tournant, car son aboutissement marquait la fin du regard distant et extérieur du cinéaste sur ses personnages, en faisant de lui-même sa propre source psychanalytique. Phenomena, comme étape suivante, intègre le propre environnement familial d'Argento pour signifier que nous sommes clairement dans une œuvre qui touche plus directement à l'intime, à des tourments personnels. C'est sans doute pour ça que pour la première fois, les personnages prennent une réelle épaisseur, une dimension qu'ils n'avaient pas auparavant. Ici Argento se montre particulièrement plus enclin à ce que nous éprouvions de la compassion pour eux, ils ne sont plus seulement que des figures théoriques. Les quelques éléments encore théoriques sont ceux qui donnent les clés pour comprendre le procédé d'une œuvre qui devient beaucoup plus personnelle: si Fiore est tuée par son père cinéaste, c'est aussi pour la remplacer par son double de cinéma Jennifer Corvino, une autre fille de célébrité obligée de regarder en boucle les films de son père. Ici, le motif de création prend la forme d'une recherche à partir des propres tourments de l'artiste. Le cinéma y devient une forme de fuite où l'on affronte l'inconnu pour traquer sa nature… Le tout tenant moins de l'exorcisme que de l'exploration d'un nouveau territoire.
De la même manière, le fait que tout Phenomena prenne pour motif les insectes, cherchant presque à leur offrir une âme, est une sorte de regard que le Argento aux tendances entomologistes d'autrefois porte sur lui-même en 1984. John McGregor (Donald Pleasance) exerce directement ce métier, et le voir en chaise roulante emprunt de cette humanité, avant de se faire assassiner, c'est aussi observer ce changement de conception chez l'artiste, plus humaine et ouverte. McGregor lui-même exprime sa conception de la recherche scientifique qui n'est pas loin de ce que le réalisateur recherche désormais à tout prix: "C'est nouveau. Pour un savant c'est là l'essence de la découverte. J'ai découvert tellement de choses que mes collègues jugeaient absurdes". Le personnage de Pleasance nous touche aussi car il incarne une sorte d'artisan vieillissant, un homme d'autrefois qui ne semble plus en phase avec le reste de la société: "Je comprends ce que c'est qu'être différent et tout ce qui va avec: pitié, ironie, répugnance, irritation… On peut vous emmener à vous haïr". Le fait est qu'en cherchant un peu à être à la mode avec ce film, Argento finalement s'identifie beaucoup à la philosophie de son personnage. John McGregor, c'est aussi un peu tout ce cinéma de genre qui est en train de disparaître, et on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine mélancolie dans ses apparitions sous les traits d'un grand acteur de l'Histoire de ce cinéma.
Finie la ritournelle enfantine des Goblin pour illustrer l'enfant traumatisé avec une pointe d'ironie, place désormais à une émotion plus premier degré avec la scène du monologue sur le soir de Noël. Cette fois Argento (comme dans beaucoup d'autres scènes dialoguées de son film, qui sont particulièrement réussies) laisse les mots, la musique et son actrice s'exprimer. Noël c'est le soir de l'abandon de la mère, de la destruction de la famille (on notera que ce long monologue dépressif sur la fête de fin d'année arrive sur les écrans la même année que celui de Phoebe Cates dans Gremlins). Cette scène reste encore aujourd'hui l'une des plus touchantes du réalisateur. Avec le professeur McGrégor et Sophie, Argento montre d'autre part que Jennifer se crée une famille bien plus présente, une famille de cœur, plus seine que celle du sang et de la naissance, car empreinte de liberté. Parallèlement, on constatera que le cinéaste attache beaucoup d'importance à souligner l'aspect virginal de son héroïne, tout en lui conférant une imagerie mêlée tout à la fois de douceur et d'érotisme. La blancheur des robes et chemises de nuit se mesure au moindre espace de peau sublimé. C'est un regard qui porte déjà en ses germes l'ambiguïté de la trilogie d'Asia, mais le corps et la psyché préadolescente semblent réellement fasciner le cinéaste. Ainsi, la très réussie scène de vomissement préfigure aisément l'anorexie dans Trauma.
Déambulations cinématographiques
On ne sait jusqu'où c'est vrai selon les sources, mais la célèbre ouverture de Il Etait une fois dans l'Ouest avec son étirement temporel et le gag de la mouche a souvent été attribué comme provenant de l'esprit du co-scénariste Dario Argento. En tout cas, le cinéaste aime les espaces déserts, souvent de grands espaces urbains d'ailleurs qu'il se plait à vider pour les rendre le plus abstrait possible, revendiquant assez souvent une influence à ce niveau de Michelangelo Antonioni. De même que la filiation de Fritz Lang se fait ressentir lorsqu'il s'agit de composer un univers étouffant jusque dans les intérieurs. Dans tous les cas, le décor est clos, c'est une cage souvent mentale dans laquelle se déroule toute une série d'évènements signifiants et implacables. Tout y fonctionne par l'existence de la caméra comme personnage principal à part entière qui, par ses figures de style et ses idées visuelles, élabore le discours et définit les frontières de l'univers.
Qu'en est-il de la cage dans Phenomena? On a le sentiment que Dario Argento s'est refusé à lui donner des limites, mieux: cela sonne un peu comme si lui-même avait aussi choisi de s'y perdre et de s'y abandonner. On passe dans un versant clairement expérimental. Le cinéaste est comme ses personnages dans une logique de recherche et de déambulation, à l'intérieur d'un espace ouvert.
D'une manière générale, le film tourne autour d'un mouvement de composition général, une forme de musicalité illustrée d'emblée par la scène d'ouverture qui apparaît alors comme le tempo donné à tout le reste du métrage. Comme on passe de la basse minimaliste de Bill Wyman à un Hard Rock plus déchaîné, des plans élégants (dont certains avec usage de steadycam) illustrent d'une manière parfois très kubrickienne la jeune touriste s'engouffrant dans les chemins sinueux de la forêt. Puis une fois qu'on a pénétré dans le chalet, Argento laisse place à un montage nettement plus découpé, où une sorte de sauvagerie bestiale s'exprime avec beaucoup de violence. La Furie amplifiée succède à une rythmique lancinante et contemplative qui doit susciter le malaise. Nous ne sommes plus dans une logique de tableaux de peintre de cinéma, mais dans un travail qui tient plus de la sculpture au sein de la temporalité, intensité et rythmique des divers blocs d'images (pour reprendre l'image chère à Tarkovski). L'errance aboutit à une horreur absolue, à laquelle succède à nouveau une errance continuelle de la nature. Ainsi le plan de la décapitation dans la cascade d'eau étouffe le paroxysme de violence par une sorte d'ordre de la nature qui reprendrait, à chaque fois, ses droits…
Ce n'est pas innocent si dans le film Jennifer souffre de somnambulisme et possède des dons télépathiques avec les insectes. Ce personnage principal encore vierge possède un esprit particulièrement ouvert à tout ce qui tient de la perception. L'âge (12/13 ans) est celui où l'on retrouve le plus de somnambulisme: c'est un peu à la préadolescence ce que l'anorexie sera à l'adolescence dans Trauma. Mais c'est aussi cinématographiquement le moyen de se projeter dans cette idée d'une errance entre le rêve et la réalité, une façon d'être dans une pureté totale de l'esprit et du mouvement, une hypnose non suggérée qui va à contrario de l'horreur absolue sur laquelle elle débouche. Lors de la toute première séquence de somnambulisme, Jennifer se retrouve par exemple confrontée à une image de meurtre particulièrement choquante, un visage sous forme d'hurlement ensanglanté qui se retrouve soudainement transpercé par une lance. Argento laisse supposer que se laisser aller à cette déambulation innocente, à demi consciente, aboutit directement au lieu d'un crime et à être témoin d'un meurtre, et de l'image "vraie", son obsession de toujours.
Les séquences de somnambulisme permettent au réalisateur plusieurs recherches graphiques pour suggérer cet état de transe onirique: on se souviendra des merveilleux très gros plans de la bouche et du regard félin de Connely au tout début de sa première crise, ou du réveil brutal illustré par un effet de décrochage très réussi. Là encore la musique est totalement le moteur de la scène et du montage. C'est intéressant de comparer ces séquences avec le vidéo-clip réalisé pour la promo du film et du morceau de Simonetti, car on se rend compte que la démarche esthétique est assez proche. En tout cas, il se succède un nombre conséquent de couloirs, portes, fenêtres, escaliers. S'abandonner c'est suivre somme toute un cheminement très linéaire, tandis que le réveil renvoie dans une désorientation totale. Là encore, c'est toute la structure du film qui rejoint cette constatation… Lorsqu'elle se réveille, Jennifer voit d'ailleurs le sol s'effondrer sous ses pieds et se retrouve suspendue dans les airs. Recueillie par deux garçons qui passent en voiture, la suite tourne à l'agressif. Il faut souligner qu'au réveil d'un comportement somnambule, le sujet se montre très souvent violent, et l'on a vu bien des cas où ce dernier peut s'en prendre à une tierce personne de manière totalement pulsionnelle.
Lorsque Jennifer est en transe, elle se projette dans une sorte d'univers parallèle qui n'est autre que la psyché à laquelle elle se connecte, la projetant dans une exploration de l'inconscient qui lui fait aboutir directement à la vérité du monde. Une porte comme il y en a plusieurs autres à l'intérieur de Phenomena: ce sont par exemples les tableaux que l'on trouve à l'intérieur du pensionnat et vers lesquels on se sent irrémédiablement projeté. Mais aussi la télévision, qui fonctionne comme une fenêtre ouverte vers la partie submergée de l'iceberg, au moyen d'images rendues abstraites et qui s'agitent à l'intérieur d'une pièce obscure, endormie. Tout ce qui concerne la communication et les réseaux est fortement mis en évidence, et il en va de même pour le téléphone qui revient de manière récurrente à l'écran, et devient ainsi un des objets phares du final, où suivre la direction du fil renvoie directement dans les entrailles qui, comme très souvent chez Dario Argento, s'avèrent le lieux des secrets.
La télépathie avec les insectes s'inscrit donc comme un motif imbriqué au sein de plusieurs autres du même type…
“I love all of you”
"Dans la Grèce antique, le papillon symbolisait l'âme, la psyché. Du grec âme, psukhê. Quel lien y a t il entre les insectes et l'âme humaine? Est-ce leur mystère complexe à tous deux?"
Ces paroles de John McGregor s'inscrivent dans l'élément le plus excitant et original du film, à savoir la supposition que par son somnambulisme, donc son échappée directe dans l'inconscient, Jennifer soit parvenue à développer un pouvoir extrasensoriel lui permettant de capter les communications télépathiques des insectes. Ce pouvoir paranormal des insectes intéresse vivement Dario Argento qui a fait plusieurs recherches sur le sujet avant de s'attaquer à son film:
"J'ai beaucoup étudié le livre du professeur Leclerc, «L'entomologie et la médecine légale», dans lequel j'ai appris que, en certains cas, on faisait appel à un entomologiste pour résoudre des affaires de meurtres. (…) (Concernant la mouche appelée «Le Grand sarcophage» que l'on voit dans le film) Il parait qu'en 1950, on a retrouvé un grand nombre de ces mouches sur les cadavres de cinq soldats italiens perdus dans le Sahara. Un entomologiste en a déduit que ces mouches avaient du parcourir 500 kilomètres afin de découvrir ces corps… car elles ne vivent qu'en bord de mer! Ce qui signifie qu'elles ont repéré les cadavres à 500 kilomètres de distance! Après cela, comment douter de la télépathie des insectes…". (2)
A travers Jennifer et la passion du professeur McGregor, Phenomena met en lumière une forme de synergie psychique entre toute les forces de la nature, tout organisme qui serait du domaine du vivant. Cette connexion directe permet aussi à l'œuvre et à Dario Argento de s'éloigner de la simple psychanalyse, atténuer le symbolisme: nous sommes dans une union totale. A travers les corbeaux dans son film suivant, Opera, mais aussi dans quelques traces présentes dans Trauma ou les rats dans Le Fantôme de l'Opéra, le cinéaste reprendra cette idée d'une connexion à une psyché universelle, une âme du vivant, un inconscient commun. Mais jamais plus il ne le fera avec autant de croyance, car se retrouvant progressivement gagné par un certain pessimisme. Sur bien des points, Argento a atteint ici son sommet dans l'expression de l'invisible, et sans doute carrément celui de sa carrière dans le parfait équilibre qu'il offre entre le nouveau et l'ancien de sa filmographie. Phenomena est loin d'être une œuvre bancale comme on l'a souvent dit, qui n'existerait que par quelques fulgurances… elle n'est pas bâtie du tout sur ce type de schéma. Argento a quelques films malades dans sa carrière, celui-ci est au contraire un film profondément généreux et cohérent qui donne de l'univers et du psychique une vision dans sa totalité. Tout tourne autour de cette déclaration d'amour centrale dans le film de Jennifer, lorsqu'elle s'exclame "I Love you, I love you all… I Love all of You" pour faire venir aux fenêtres tout un essaim de mouches.
L'insecte permet des allées et venues incessantes entre ce qui est du domaine du macro et du micro, nous révélant une manière de ressentir ce qui nous entoure tout à fait nouvelle. La beauté prend forme à partir de très gros plans sur ces petits corps qui acquièrent une dimension nouvelle (le cinéaste y oppose des plans larges qui rendent parfois l'homme aussi petit qu'une luciole ou une mouche), mais aussi sur la mise en évidence du Fohn, du nom du vent qui souffle ici comme un personnage à part entière. La lune dans le ciel et son éclairage direct et froid rejoint les nombreuses lumières artificielles du film, comme ce rayon rouge braqué par McGrégor qui dénude l'œil du mal. Enfin que dire du personnage du chimpanzé, autre expression de ce vivant indivisible? Argento le filme réellement comme un personnage capable de diverses émotions et non comme une simple bête de foire. L'image du meurtre au rasoir final par ce dernier, toute droit sortie de chez Poe et son Double assassinat dans la rue Morgue est particulièrement marquante. Concernant ce meurtre, c'est d'ailleurs sans doute l'un des plus durs filmés par Argento, composé des assauts répétés de la lame au travers du visage en gros plan de Daria Nicolodi… Le plan final sur le magnifique thème de Simonetti, qui illustre on ne peut mieux la princesse en symbiose avec la nature est une façon de réactualiser cette étreinte toujours continuelle de l'amour et de la mort.
C'est le tour de force des grands cinéastes que de nous donner à voir différemment, et Argento avec ce film offre en prime à son cinéma une nouvelle dimension plus en profondeur. En se frottant directement à ce qui se révèle être la question de l'âme, son œuvre tient désormais moins du formalisme virtuose. Le presque trop plein de lyrisme et d'hyper sensibilité de Phenomena, comme en réaction, sera poursuivi par le glacial et sombre Opera dont l'échappée finale, profondément ambiguë, a le besoin de se confronter aux décors du film précédent. Le film le plus noir de sa carrière succède au plus lumineux, deux extrêmes pour les deux sommets du nouveau Dario.
• Mot de la fin à John Carpenter...
"Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi Dario Argento n'a pas eu la reconnaissance qu'il mérite. Un de ses films, «Phenomena», m'a profondément troublé, mis vraiment mal à l'aise. Il fait partie des rares films que je ne montrerai jamais à mes enfants. Je peux leur montrer «Suspiria» qui est très opératique. «Phenomena» est vraiment un film très difficile. Je crois que cela explique certaines choses sur cette absence de reconnaissance à l'égard de Dario Argento: quand on travaille sur ce genre d'émotions, on court le risque de troubler profondément le spectateur… donc le critique. Mais cela n'enlève rien à la beauté de ses films qui sont parfois extraordinaires." (3)
(1) Dario Argento, le maître d'œuvre de Phenomena, in L'Ecran Fantastique, n°57, Juin 1985, p.35
(2) Dario Argento, le maître d'œuvre de Phenomena, op.cit, p.36
(3) Frères Humains, entretien avec John Carpenter, in Les Cahiers du Cinéma, n°523, Avril 1998, p.41
quarta-feira, 3 de maio de 2006
Contra o mac-mahonismo
Ou: Cahiers contra Présence, a guerra declarada.
If we made such a point of mise en scene ten years ago, this was done deliberately to stimulate controversy and to rehabilitate the idea that cinema is also something which one sees on the screen. But over the last few years the conception has been so widely abused that one is finally driven to explain what exactly one meant. It is not simply a matter of talking about the fascination of the image one sees on the screen, but of understanding how mise en scene is an expression of the intelligence of the director. The term covers, that is to say, not only the position of the camera, but the construction of the script, the dialogue, and the handling of the actors. Mise en scene, in fact, is simply a way of expressing what in the other arts would be called the artist's vision; and a novelist's vision obviously does not depend solely on where he places an adjective, or how he builds a sentence, but also on the story he is telling. When we made claims for Preminger, or Hawks, or Hitchcock, it should have been evident that it was their personal vision of the world we wanted to bring home to audiences.
But the whole conception has been abused to the point of imbecility, and it is now used to suggest that so long as the camera movement can be called sublime, it makes no difference if the story is fatuous, the dialogue idiotic and the acting atrocious. This, it seems to me, is the exact opposite of everything we fought for under the banner of mise en scène, when we insisted on the importance of establishing a film's authorship.
Sight & Sound, Outono 1963, entrevista com Jacques Rivette