quarta-feira, 26 de julho de 2006

Dodes'kaden

Par Louis SKORECKI — 4 septembre 2003 à 00:50
CinéCinéma Classic, 18 h 05.

Comparer Dodes'kaden à tout ce que le cinéma a produit, chefs-d'oeuvre et navets, depuis son invention par Auguste et Louis Lumière, c'est le genre de choses qui n'est pas pour nous déplaire. Pour ceux qui ont la chance de n'avoir pas encore vu Dodes'kaden, on dira juste que c'est à la fois ce qui anticipe la fin du cinéma et ce qui la rend dérisoire, ce qui rend dérisoire l'existence même du cinéma. Dire que Dodes'kaden est le dernier film de «cinéma», ça nous fait une belle jambe. Dire que c'est le dernier film à englober le monde, ça ne nous avance pas plus.

Ça nous ferait même plutôt reculer. Ce qui fonde l'existence même de Dodes'kaden, qui vaut bien mieux qu'un simple film de Kurosawa, et bien plus que la figure dérisoire de ce petit maître de l'entropie, c'est la remise en question, non pas du «cinéma», mais de l'«homme». L'existence de l'«homme» est-elle encore possible et à quel prix ?

Dodes'kaden ne s'occupe que de ça, ce qui survit d'humain dans l'homme et, à défaut, ce qui reste de l'homme dans le sous-homme. Sous-homme, dit Dieu à l'oreille de Kurosawa, c'est mieux que rien. Quel Dieu ? murmure le vent à l'oreille du vieux Kurosawa. Quels dieux lui soufflent d'en finir avec la vie devant l'insuccès (financier, artistique, public) de ce film d'outre-tombe ? Disons, pour donner une idée du dialogue entre Kurosawa et ses démons (ses dieux, si l'on préfère), qu'il s'agit d'histoires, de bribes d'histoires, de paraboles. Dans deux des dernières grandes religions, le bouddhisme zen chinois et le judaïsme transcendantal des grands maîtres hassidiques du XIXe siècle, celui qui fait suite aux illuminations de charretier du Baal Schem Tov, ce sont les histoires qui comptent avant tout. La variante d'une histoire zen (l'une des plus connues) trouve sa place dans un épisode de Dodes'kaden. C'est celle du voleur et du volé.


Dodes' kaden (2)

Par Louis SKORECKI — 8 septembre 2003 à 00:53
CinéCinéma Classic, 22 h 10.

Dans toute histoire, il y a un voleur et un volé. Le problème, ce n'est pas de savoir qui est le voleur et qui est le volé (même si c'est parfois plus compliqué qu'on ne l'imagine), c'est d'abord de savoir en quoi consiste précisément le vol. Les mystiques passent leur vie à élucider de telles questions, des questions qui intéressent malheureusement assez peu les cinéastes, et encore moins les scénaristes. Kurosawa s'est laissé gagner sur le tard par l'ivresse intellectuelle et sensuelle de ce genre de questions existentielles. Dommage qu'il ne leur ait consacré qu'un seul film, Dodes' kaden, à la fois son plus grand film et l'un des deux ou trois sommets de l'art cinématographique du XXe siècle. Dodes' kaden parle de ce très court instant entre la naissance et la mort qu'on se risque parfois maladroitement à appeler «la vie». La vie, en tant qu'elle se résume à quelques flashes de couleur, quelques émotions fortes, une ou deux histoires d'amour. La vie en tant qu'on ne cesse de buter dessus, en tant qu'on ne s'en remet pas, en tant qu'on en meurt. Pas mal comme scénario, non ?

On ne fera qu'effleurer ici la surface de ce film gigantesque, torturé, suicidé, apaisé. D'autres mots ne cesseront de ne pas avoir raison de ce film. Tôt ou tard, le film se venge des mots. Pour en finir provisoirement avec ce qui ne cesse pas de ne pas finir, il faut bien qu'on dise quelque chose de cette histoire du voleur et du volé. Dans l'un des fragments de ce recueil de nouvelles cinématographiques (plutôt de mauvaises nouvelles, d'ailleurs), un vieil homme se fait voler. Plus discret que lui, plus transparent, on ne fait pas. La police ramène le voleur et demande au vieil homme s'il le reconnaît. «Mais vous vous êtes trompé, dit le vieillard, cet homme est mon ami, vous avez arrêté un homme à qui je venais de donner de l'argent. Il n'a rien volé du tout.» L'homme est relâché. Il pleure. Pleure-t-il avant ou après avoir été relâché, c'est toute la question.

(A suivre)


Dodes'kaden (3)

Par Louis SKORECKI — 12 septembre 2003 à 00:57
CinéCinéma Classic, 16 h 50.

Dans toute histoire, il y a un homme et une femme. Même si la femme est une chienne, même si elle a des couilles, ça ne change rien. Dodes'kaden est un film qui parle de l'homme en tant qu'il fait encore partie du monde, du monde animal, du monde végétal, et même du monde minéral. Faire partie du monde, ce n'est pas mal, surtout à une époque où être au monde se conçoit si mal. Quand il y a trop de choses autour de toi, dit en substance le vieux Kurosawa, c'est comme s'il n'y avait rien. Mais quand il n'y a rien du tout, la comédie de la vie (la tragédie, si l'on préfère) peut commencer. «Quand on fera danser les couillons, faisait dire Pagnol à l'un de ses personnages, tu ne seras pas à l'orchestre.» On rit autant chez Kurosawa que chez Pagnol, mais c'est nettement plus trivial.

Si un mot devait résumer Dodes'kaden, ce serait précisément «trivialité». Ces grilles de fer forgé qu'un père et son fils, réduits à la mendicité, imaginent autour d'une maison idéale, une maison de rêve, elles sont vraiment en fer. Les larmes que le vieil amoureux ne sait plus comment verser quand sa femme se décide enfin à revenir, ce sont de vraies larmes. Les deux hommes qui échangent leurs femmes, sans même s'en apercevoir, ils les échangent pour de bon. Le crétin qui joue au petit train (do-des-ka-den, c'est le bruit de la locomotive qu'il imagine dans sa tête tout au long du film), il y joue vraiment. Il la conduit pour de bon, sa locomotive. On ne l'appelle pas «le train fou» pour rien. Il n'est pas bête, il voit bien qu'elle n'est pas là, la loco, au moment précis où il voit bien qu'elle est là. Au spectateur de décider si elle est pour de vrai, ou non. Et le reste ? Toutes ces histoires éclatées, ça raconte quoi ? L'homme qui a des tics, ça rime à quoi ? Ces hommes perdus qui ne cessent de mordre dans le réel sans avoir peur de se mordre les doigts, on en fait quoi ? Où est le fruit du réel ? Et où sont les pépins ?.

Louis SKORECKI

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