Ho Po-wing disait toujours : "Si on repartait à zéro". Sur cette phrase en voix-off débute Happy Together. Effectivement, Ho Po-wing (Leslie Cheung), l'un des protagonistes principaux, réitère ce voeu à chaque fois que le couple homo turbulent qu'il forme avec Lai Yiu-Fai (Tony Leung) traverse une nouvelle crise.
Lorsqu'aprés une vingtaine de minutes de film, Fai accepte d'essayer une fois encore de tout recommencer, c'est le film lui même qui repart à zéro, passant subitement du noir et blanc à la couleur. Repartir à zéro, c'est vouloir tout changer mais pour mieux continuer, donc refuser que quelque chose s'achève. Et l'inachèvement est un peu la clé de voûte du système de Wong Kar-Wai.
Happy Together raconte une histoire à laquelle personne ne veut inscrire le mot fin, qu'aucun coup de gueule ou coup sur la gueule ne parvient à achever. Avec, en arrière plan, sur un mode mineur, une histoire seconde au mouvement inverse, celle qui n'arrive pas à prendre forme entre Fai et son jeune compagnon de travail, Chang. Celle-là n'est faite que de frustrations et de rendez-vous reportés, comme ce message audio à n'écouter qu'après, très loin, ne révèlant que quelques sanglots mal étouffés.
Fai et Po-wing bénéficient d'une vrai densité psychologique et peu de films montrent de façon aussi forte l'intimité physique d'un couple. Il ne s'agit pas seulement de sexe mais vraiment d'intimité, soit la parfaite connaissance du corps de l'autre, devenant comme une partie de soi. Le film multiplie les rituels intimes : les amants ne cessent de se soigner, de se laver, de se préparer à manger, de fumer les bouts de clopes que l'autre a laissés. Mais aussi de se taper dessus dans un même mouvement de proximité physique.
Même si les rapports de forces basculent sans cesse, l'histoire de couple piétine et rejoue à l'envie les mêmes motifs de possessivité hystérique et de ressentiments inentamables. Malgré tout, ce piétinement finit par mener à la ruture, qu'on pensait pourtant hors d'atteinte.
Quelque chose d'imperceptible, de non localisable, se produit qui transforme Fai. A la fin du film, il n'est plus un simple jouet balloté dans des flux de temps qui le dépassent. Quant à Po-wing, son voeu s'est exaucé mais de façon triste et cruelle. Esseulé, il revient hanter l'ancien domicile conjugal et pleure au milieu des décombres de sa liaison passée. Derrière lui, comme une méchante ironie du sort, le réveil passe de 23.59 à 00.00. Il voulait repartir zéro et se retouve simplement au point zéro, complétement nul, zéro pointé.
A ce réseau temporel s'associent des réseaux d'espace non moins complexes allant de l'absolument fermé (les quatre murs claustrophobiques de la chambre) à l'infiniment grand (la planète entière de Ushuaïa à Taïpei via Hong-Kong). Dans ce film qui débute sur des gros plans de passeports recevant leur visa, il est beaucoup question de flux migratoires (peut-être en lien avec l'imminence inquiètante de la rétrocéssiond e Hong-kong, le film faisant discréyement allusin à l'catualité politique de son tournage avec la mort de Deng Xiao-ping). de nombreux plans sont utilisés à plusieurs reprises repris d'une séquence à l'autre, comme cette image énigmatique des chutes d'Igazu que le film nous montre une première fois alors que les personnages n'ont pu les atteindre et qui revient plus tard, cette fois du point de vu de Fai. la laison avec Chang n'engage que des problèmes d'espace et ils peuvent facilement se régler : Fai et Chang ne cessent de se rater aux quatre coins de la planète (l'un revient à Buenos Aires quand l'autre le cherchait à Taïpei) mais, à la fin, ils savent qu'ils parviendront à se retrouver.
Jean-Marc Lalanne, Dernier tango à Buenos Aires, Cahiers du cinéma n°519, décembre 1997
quinta-feira, 15 de dezembro de 2005
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