sexta-feira, 30 de dezembro de 2005

Frontière chinoise

TPS Cinétoile, 21 heures.

par Louis SKORECKI

Je ne suis pas sûr que le vrai Jacques Aumont, le polytechnicien des universités, aime Ford : trop énigmatique, trop contradictoire, trop muet. Le faux Aumont, le mien, c'est autre chose. Ce professeur itinérant, qui tient David sous son emprise (le pire, c'est que David y prend du plaisir), éprouve pour Ford une passion exclusive. Quand il parle du dernier Ford, Seven Women (il ne dit jamais Frontière chinoise, il a les titres français en horreur), quand il le compare au dernier Mizoguchi, la Rue de la honte, les yeux de David brillent d'excitation. Il revient du lycée le regard hagard. Il n'est plus de ce monde. Je n'aime pas ça. Tu as fumé ? je lui demande. Tu sais que je déteste ça. David se frotte les yeux, il ne répond pas. Il peut rester des heures sans parler. Quand il sort de sa léthargie, il me demande ce que je pense de Frontière chinoise. Je lui dis qu'un film de 1966, il faut le regarder avec suspicion. Il faut toujours se méfier des chefs-d'oeuvre de postcinéma. Si seulement monsieur Daniel avait été là, il lui raconterait Ford. Il a joué dans plusieurs de ses films, il le connaissait bien.

Dès qu'on prononce son nom, monsieur Daniel arrive. Vous parliez de Frontière chinoise ? dit-il, comme s'il avait écouté le début de notre conversation. C'est le moins fordien de tous les Ford. Il lui manque cette attention maniaque aux détails qui fait la chaleur documentaire de ses meilleurs films. C'est quoi un film fordien ? demande David. Celui qui préfère l'extraordinaire du quotidien au dépaysement ou à l'exotisme, répond monsieur Daniel. Ford est le cinéaste de l'Amérique ordinaire, pas celui de l'exploit et des paillettes, conclut-il. David raconte comment Aumont présente Seven Women, un grand mélo féminin. Tout ce que Ford détestait, lâche monsieur Daniel. David se tait. Moi aussi.

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