— 29 octobre 2003 à 01:36 1937. J'ai 8 ans et je me sépare de mon ours, ramené de Tchétchénie par mon père. Première séparation douloureuse : l'ours était devenu trop grand pour dormir dans mon lit. 1939. Je tombe amoureux des Marx Brothers, quand ma mère m'emmène voir Une nuit à l'Opéra. 1948. Je suis chauffeur de taxi. Un jour, je prends Pierre Fresnay pour l'amener à son théâtre. On discute, il me dit de passer pour son nouveau spectacle, Pauline ou l'Ecume de la mer, et m'y engage. C'est un choc : j'avais tellement peur que, quelques jours avant la première, je me suis jeté du haut d'une plate-forme d'autobus pour me suicider. Je me suis cassé le bras et j'ai joué quand même, Hippolyte dans une modernisation de Phèdre, avec le bras dans le plâtre. J'enchaîne sur 80 films et pièces de théâtre, de droite à gauche : aucun petit rôle ne m'échappait alors. 1952. Rencontre avec Antonioni, qui me fait jouer dans I Vinti. C'est un gros succès en Italie, où je deviens une vedette. Spécialité : l'étranger, il forestiero. Comme les Italiens avaient besoin d'acteurs étrangers pour jouer ces rôles, ils les importaient : Quinn, Laydu, Trintignant... et Mocky : cinq ans de bonheur italien. 1961. Rencontre avec Francis Blanche et Bourvil, mes deux grands amis. Ils m'ont aimé et aidé. Rencontre, également, avec Raymond Queneau et Marcel Aymé, pour Un couple et la Cité de l'indicible peur. Deux écrivains très proches : des frères d'armes autodidactes pourvus d'un humour ravageur. 1969. Solo. Au mieux de mon système. Tout le monde s'est mis d'accord pour aimer ce film, mes amis, mes ennemis, les critiques, la droite, la gauche, le centre, à Paris et en province. C'était pourtant un film de bouts de ficelle, 450 000 francs, entièrement doublé. Personne n'y a rien vu. 1969. Mort de ma mère, énorme choc et date terrible dans une période heureuse. Une impression de détresse qui se tresse avec celle de plénitude professionnelle. C'est le moment le plus intense de ma vie. 1975. Rencontre avec Michel Simon. Il est venu me voir et je lui ai proposé l'Ibis rouge, juste avant sa mort. Encore un autodidacte, toujours la même conception du monde qui passe par la dérision. Dans le cinéma, j'ai peu d'amis encore vivants. Bourvil, Blanche, Welles sont partis, je les ai accompagnés jusqu'au bout, au cercueil. Il reste Alain Resnais, très drôle dans la vie, ou Eric Rohmer, avec qui je partage une manière de tourner, mais on n'a pas grand-chose à se dire. 1983. Y a-t-il un Français dans la salle ? Succès qui lance une seconde période faste. Daney écrit dans Libé que c'est le meilleur film de l'année. Suivent A mort l'arbitre, le Miraculé, Agent trouble. Je fais plus de 100 000 entrées la première semaine. Les gens m'aiment, j'ai des budgets confortables. 1988. Une nuit à l'Assemblée nationale, où j'essaie de retrouver quelque chose des Marx Brothers. Le film est rude avec le monde politique. Il sort entre les deux tours de la présidentielle, et on me prend pour un provo qui ferait le jeu de Le Pen. Bide total qui marque une rupture avec la critique et le public. Avant, j'étais le chouchou ; le lendemain, je ne suis plus rien. 1989. Brouille avec Libé. Une date-clé car, à partir de là, les producteurs n'ont plus voulu de moi. Une bonne critique dans Libé, c'est vital. Je considère cette rupture comme aussi sensible qu'avec une femme aimée. 1992. Ville à vendre. Depuis dix ans, je travaille : Bonsoir, Noir comme le souvenir, les Araignées de la nuit... Je suis entré en clandestinité, comme Buñuel lors de sa période mexicaine ou Godard lors de ses années télé. Je rame comme un imbécile et je vis de mes vieux films multidiffusés sur le câble. En 1999, 37 de mes films sont passés à la télé ! Cet argent me permet d'ouvrir le Brady, une salle à Paris, dans le Xe. C'est mon petit artisanat, mon ciné-club, comme Delluc aux Ursulines. J'ai rejoint le clan des réprouvés, comme en leur temps Tati ou Welles. 2003. Amitié de Jacques Villeret, qui a produit le Furet. Un type formidable, qui fait des conneries qui marchent pour faire aussi autre chose. Je suis le guérisseur de ses conneries. Je retrouve aussi Serrault, sublime et pathétique. 2004. Je pars pour l'Angleterre, où je vais tourner un film avec John Malkovich et Harvey Keitel. En France, la corruption, la bourgeoisie, l'Eglise ont gagné. Et il n'y a plus d'acteurs. J'ai 74 ans, 45 films, c'est le début d'une nouvelle carrière. Comme un rêve américain. Le temps est venu de rejoindre le grand cinéma.
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