terça-feira, 27 de dezembro de 2005

Daisy Kenyon

Cinécinéma Classic, 22 h 15.

par Louis SKORECKI

Tu vois que tu t'inquiétais pour rien, dit Caroline, monsieur Edouard a changé. C'est un autre, on ne le reconnaît plus. Il est calme, joyeux, a-t-elle ajouté. Je n'ai rien répondu, j'ai juste pensé qu'il était un peu exalté. Rien de grave, a dit Caroline comme si elle lisait dans mes pensées, ça lui passera. On était tous les deux devant le Classik, ce grand cinéma de banlieue qui fait dancing le week-end, on faisait la queue pour revoir Daisy Kenyon, ce Preminger que monsieur Edouard aimait tant. On se posait des questions. Sur le film, sur Preminger, sur les acteurs. Caroline n'était pas fan de Dana Andrews et elle ne supportait pas Joan Crawford ; moi, c'était la photo de Leon Shamroy qui ne me plaisait pas. David, mon petit-neveu, avait étudié le film avec Jacques Aumont, il en était fou. Si seulement monsieur Edouard avait été là, il nous aurait tous mis d'accord.

Dès qu'on prononce son nom, monsieur Edouard déboule au quart de tour. Comme toujours, il sait déjà de quoi on parle. A croire qu'il a des espions dans la maison. Je ne veux pas m'engueuler avec vous, dit calmement monsieur Edouard, vous savez que j'ai ça en horreur (non, on ne sait pas), mais vous n'y êtes pas. D'abord, vous oubliez un troisième personnage, le rival en amour de Dana Andrews, joué de manière très énigmatique par Henry Fonda. C'est vrai, dit-on tous les deux en même temps, on l'avait zappé. Non, répond monsieur Edouard, c'est lui-même qui passe son temps à se zapper, à s'auto-effacer du paysage. Je me rappelle à ce moment-là que Fonda était aussi très étrange dans Tempête à Washington, un beau Preminger oublié. Je vais pour en parler à monsieur Edouard quand il m'arrête en souriant. Tu penses à Tempête à Washington, c'est ça ? Non, je lui dis, je pense juste que David et Sébastien vont être super-contents. Et Aumont alors ?, demande Caroline. Lui ? Il va pisser de joie, je dis. On rit.

(A suivre)

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Daisy Kenyon (2)
Cinécinema Classic, 14h15

par Louis SKORECKI

Tu t'inquiétais pour rien, dit Caroline, monsieur Edouard a changé. C'est un autre, on ne le reconnaît plus, a-t-elle ajouté. Je n'ai rien répondu, j'ai juste pensé qu'il était un peu exalté. Rien de grave, a dit Caroline comme si elle lisait dans mes pensées, ça lui passera. On était devant le Classik, ce grand cinéma de banlieue qui fait dancing le week-end, on venait de revoir Daisy Kenyon, ce Preminger que monsieur Edouard aimait tant. On se posait des questions. Sur le film, sur Preminger, sur les acteurs. Caroline n'était pas fan de Dana Andrews, elle ne supportait pas Joan Crawford. Moi c'était la photo de Leon Shamroy que je trouvais fadasse. C'est un peu gris, non ?, je demande à Caroline. Elle ne répond pas. Si seulement monsieur Edouard avait été là, il nous aurait mis d'accord.

Dès qu'on prononce son nom, il déboule au quart de tour. Il sait déjà de quoi on parle. A croire qu'il a un espion sous mon bureau. Vous oubliez un troisième personnage, dit-il, le rival amoureux de Dana Andrews, joué par l'étrange Henry Fonda. C'est vrai, on l'avait zappé. Pas du tout, dit monsieur Edouard avec une sorte de sérénité que je ne lui connais pas, c'est lui-même qui passe son temps à s'auto-effacer. Il se zappe lui-même, vous comprenez ? On reste sans voix. Rappelez-vous combien Henry Fonda était indécidable dans Tempête à Washington, dit encore monsieur Edouard, comme pour nous mettre sur une piste. Ce n'est pas pareil, dit Caroline, Tempête à Washington est un film politique, opaque, oppressant. Et Daisy Kenyon, alors ?, demande monsieur Edouard. C'est quand même moins onirique, moins fantastique, dit Caroline. Tu crois ?, demande monsieur Edouard, c'est juste un fantastique moins social, plus passionnel. Et la photo de Shamroy ?, je demande timidement. Royale, répond monsieur Edouard. Je regarde mes pieds. Ils sont toujours là. (A suivre)

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Daisy Kenyon (3)
CinéCinéma Classic, 17 h 15.

Monsieur Edouard a changé, tu t'inquiètes pour rien, a dit Caroline. Je n'ai pas répondu, j'ai juste pensé qu'il était un peu exalté. Rien de grave, a-t-elle dit, ça lui passera. On sortait du Classik, ce grand cinéma de banlieue qui fait dancing le week-end, on venait de revoir Daisy Kenyon, un Preminger mal fichu que monsieur Edouard aimait beaucoup. Caroline et moi, on ne savait pas quoi en penser. Elle n'aimait pas Dana Andrews (on voit qu'il boit trop, tu ne trouves pas ?) et elle détestait Joan Crawford (elle fait toujours plus vieille que son âge). Moi c'était la photo de Leon Shamroy que je trouvais grise (elle fait sale, non ?). Mais c'est vrai que Daisy Kenyon, disait Caroline, a une sorte de mystère indéfinissable. Si seulement monsieur Edouard était là, il nous mettrait d'accord.

Dès qu'on prononce son nom, monsieur Edouard déboule au quart de tour. Il sait de quoi on parle, comme s'il avait un espion dans les parages. Vous oubliez Henry Fonda, dit-il. C'est vrai qu'on l'avait zappé, celui-là. Pas du tout, dit monsieur Edouard, c'est Fonda qui passe son temps à s'autozapper. On reste bouche bée. Fonda est un acteur étrange, finit par dire Caroline, c'est un acteur déplacé. Il n'est jamais là où l'on croit, toujours un peu trop jeune, un peu trop vieux. C'est vrai, dit monsieur Edouard, Fonda est toujours dans l'excès, il est toujours trop. L'entropie ? je demande. Non, répond monsieur Edouard, ça a à voir avec la musique. La musique ? demande Caroline. Fonda chante ses dialogues, dit monsieur Edouard, vous n'entendez pas ? Non, on n'entend rien. Dans Daisy Kenyon, il chante sur la musique de David Raksin, dit monsieur Edouard. Comme Gene Tierney sur la mélodie que Raksin a composée pour Laura ? demande Caroline. A ce moment-là, c'est curieux, j'ai entendu une chanson.

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