sábado, 10 de dezembro de 2005

Lutte des classes sur «le Territoire des morts»

Le quatrième volet de la série de George Romero, ouverte en 1968 par la Nuit des morts vivants, évoque plus que jamais une société malade à l'aube de sa désintégration.

par Alexis BERNIER

Land of the Dead (le Territoire des morts)
de George A. Romero, avec Simon Baker, Asia Argento, Dennis Hopper, Robert Joy, John Leguizamo... 1 h 36.

Parmi toutes les idées formidables du dernier film de zombie tourné par le maître du genre, le revenant George A. Romero, il y en a une particulièrement forte. Pour sécuriser leurs incursions dans «le territoire des morts» (traduction du titre de ce quatrième volet de la série), les rares hommes encore vivants tirent des feux d'artifice depuis leur camp retranché. Le regard perdu au firmament, comme hypnotisés par ces bombes multicolores qui explosent telles des fleurs dans le ciel, les cadavres ambulants qui déambulent tristement ne voient plus les hommes qui passent et ils ratent un festin facile .

Retranchés dans une forteresse aseptisée

Romero laisse chacun libre d'interpréter ce que peuvent être dans notre monde ces jolis mirages qui distraient l'attention : à la fin de son dernier film, les morts comme les vivants, puisqu'il ne fait plus vraiment la différence, auront appris à ne plus se laisser duper. Plus qu'un excellent film fantastique, Land of the Dead (le Territoire des morts) est aussi l'histoire de la prise de conscience collective d'êtres exploités par une minorité riche et arrogante, retranchée dans une forteresse aseptisée. En ce sens, quinze ans après Invasion Los Angeles de John Carpenter ou The People Under the Stairs de Wes Craven, Land of the Dead est probablement le film de genre américain le plus ouvertement politique.

Il a bien failli ne jamais voir le jour. Pendant dix ans, ce cinéaste atypique, prototype de l'auteur indépendant et «pur produit des années 60» comme il se présente lui-même, plus que pape du gore comme les débordements d'hémoglobine de ses films fétiches l'ont catalogué, n'a rien tourné. Il a vu ses projets se casser la figure les uns après les autres. Après le faible (et fauché) Bruiser, passé justement inaperçu en 2000, Romero revient avec la suite de la trilogie qui l'a rendu célèbre. En 1985, Day of the Dead clôturait provisoirement un cycle où le réveil et l'invasion des morts servaient de prétexte à évoquer une société déliquescente.

Un film tous les dix ans. Puis il a «raté les années 90», comme il le raconte aujourd'hui. «Quand j'ai terminé un nouveau scénario, le 11 septembre est arrivé et seules les comédies sans substance trouvaient des financements.» Personne ne voulait prendre le risque de dépenser un dollar dans un film d'horreur gauchisant, tourné par un hippie vieillissant qui a passé toute sa vie à l'écart du système, tournant la plupart de ses films dans sa ville natale, Pittsburgh.

Il faudra attendre la nouvelle vague actuelle de films d'horreur et la vogue des films des années 70 refaits à la sauce numérique (Massacre à la tronçonneuse...), pour que Romero tourne à nouveau. Et encore, le budget de Land of the Dead n'est qu'une aumône, en regard de celui du remake de son Dawn of the Dead, revu à la manière d'un jeu vidéo frénétiquement crétin (l'Armée des morts, Zack Snyder, 2004).

«Ces putains de zombies me foutent la trouille»

Au moment où débute ce nouvel épisode, les morts hantent la surface du globe, telles des âmes en peine, plus pathétiques qu'effrayants. On ne sait ce qui leur manque le plus, nourriture ou raison d'être. Les vivants, eux, se terrent dans des camps de fortune. Seule une poignée de nantis se prélasse dans un building transformé en luxueux bunker, faisant comme si les zombies (et les pauvres) n'existaient pas. Cigare dans une main, whisky dans l'autre, c'est Dennis Hopper qui interprète Kaufman, le patron de ce paradis pour rupins. Ce spécialiste des ordures tient ici son meilleur rôle depuis des lustres. Il faut le voir, toisant le monde ravagé et avouant «ces putains de zombies, ils me foutent la trouille», tout en se curant le nez avec l'index.

George Romero dit volontiers sa déception d'apprendre que Hopper, «enfant de la contre-culture» comme lui, est aujourd'hui un homme de droite qui s'assume : «Easy Rider joue au golf et vote républicain, le croyez-vous ?» Cela n'empêche pas Hopper d'avoir porté le projet. Téléphonant à son réalisateur après lecture du script pour lui dire, enthousiaste, «Kaufman, c'est Donald Rumsfeld.» L'Amérique transformée en camp retranché après le 11 septembre est clairement une des sources d'inspiration de ce quatrième zombie-film. Difficile, d'ailleurs, de ne pas penser à un autre, sorti l'été dernier, le Village, de M. Night Shyamalan. Dans les deux cas, des hommes en pleine panique vivent retranchés dans une petite communauté ultraprotégée, sourde et aveugle au monde qui l'entoure. Seul le point de vue diffère. Romero filme de l'extérieur de la forteresse, en affichant clairement sa sympathie pour les «insurgés». Shyamalan, de l'intérieur, avec des sentiments plutôt ambigus envers les occupants.

Des hippies aux damnés de la terre

Les films de Romero, ceux mettant en scène des zombies comme les autres (The Crazies en 1973, Knightriders en 1981), ont souvent évoqué des sociétés malades à l'aube de leur désintégration. Mais jamais la question des classes et des tensions sociales n'avait été aussi clairement abordée. Dans les années 60, les zombies pouvaient être vus comme des hippies sur le point de renverser l'ordre réactionnaire. Aujourd'hui, ce sont des «damnés de la terre», qui prennent conscience de leur sort. Big Dady, un des personnages clés du film, est un pompiste noir qui entraîne ses camarades d'infortune, tel un Guevara zombie. Tous ses compagnons sont clairement d'ex-ouvriers, exploités morts comme ils l'étaient vivants.

Le monde des vivants de seconde classe, interzone de tous les trafics, sorti d'un roman de William Burroughs, est lui aussi en ébullition. Incarné par John Leguizamo, un acteur originaire d'Amérique du Sud ­ ce qui n'est sans doute pas un hasard ­, Cholo est un de ceux qui travaillent au service de Kaufman, exécuteurs des basses oeuvres, espérant récupérer quelques miettes du festin et intégrer enfin la caste dominante, aveuglé par les promesses de richesse qu'on lui a fait miroiter. Land of the Dead est aussi le film de son réveil (tardif).

L'inhabituelle virulence de son engagement ne doit pas faire oublier que Land of the Dead reste un film musclé, inquiétant (les morts sortant de la rivière), parfois même poétique (la scène d'ouverture), où l'action est concentrée sur une durée de 24 heures. Là encore Romero se distingue. A une époque où les films d'horreur se doivent d'imiter le rythme épileptique des jeux électroniques, ses morts continuent de marcher à la vitesse d'escargots entêtés et l'un des premiers dialogues prononcés condamne les fanfaronnades d'un tireur qui se croit à la foire : «Un beau tir, ça n'existe pas.» En cet été où, comme toujours, ça canarde sec sur les écrans, quel autre film énonce cette simple évidence ?

Um comentário:

Anônimo disse...

Merveilleusement analysé. J'aime beaucoup ce film ; des trois "évasions" finales de Romero (Dawn of the dead, Day of the dead et ce Land...), c'est ma préférée. Big Daddy dans la ligne de mire, et les paroles du héros...

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